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de tous[1] ; mais de telles variations ne sont point du tout de nature à infirmer le principe. L’habitude de l’association fait que les Anglais d’une certaine classe ont depuis longtemps renoncé à afficher leur rang et leur fortune par l’étendue de la dépense. On a vu plus d’une fois le duc de Wellington dîner au Senior United Service avec un seul plat de viande. Un jour qu’on avait porté sur la note 15 pence au lieu d’un shilling, il insista pour que l’erreur fût réparée. Le duc n’était point avare, et 3 pence de plus ou de moins n’étaient rien pour un homme qui jouissait d’un revenu de 100,000 livres sterling par an ; mais il voulut, dit-on, réprimer l’abus dans l’intérêt de ses frères d’armes, qui, étant plus pauvres que lui, n’auraient peut-être pas osé réclamer. « L’homme ne vit pas que de pain, » dit l’Évangile, et les club houses, tout en rendant le bien-être de la vie matérielle plus accessible aux hommes d’une demi-fortune, n’ont nullement négligé pour cela les plaisirs et la nourriture de l’esprit. En 1844, l’Athenœum a dépensé pour abonnement aux journaux anglais et étrangers, ainsi qu’aux revues, la somme de 471 livres sterling et quelques shillings. La bibliothèque du même club se composait dans la même année de vingt mille trois cents volumes. Une somme de 500 livres sterling est en outre consacrée tous les ans à accroître cette collection d’ouvrages, de cartes et de gravures. On voit d’ici le but des club houses, qui est de centupler pour chaque membre la richesse ou du moins les avantages qu’elle procure. Il nous faut maintenant rechercher l’origine de ces institutions.

L’idée des clubs modernes, qui existent en si grand nombre à Londres et dans d’autres villes de la Grande-Bretagne, est une idée militaire. Les officiers de l’armée anglaise avaient depuis longtemps reconnu l’économie qui résulte du principe d’association appliqué à la table. Ils savaient que la paie de chacun d’eux, dépensée séparément, aurait à peine suffi aux nécessités de la vie, tandis qu’en formant une masse commune, ils obtenaient en retour de leur apport non-seulement le nécessaire, mais encore les délicatesses du luxe. En 1815, la paix amena une réduction dans l’armée, et un grand nombre d’officiers étant mis à la retraite durent abandonner les tables communes (messes) auxquelles ils appartenaient. Jetés brusquement en dehors de leurs habitudes, ces hommes, dont le revenu était très limité, se virent avec horreur la proie des hôtels, des tavernes et des pensions bourgeoises. Pour la plupart d’entre eux, l’absence avait relâché les liens de famille, et pourtant ils avaient contracté dans les casernes, dans les camps et sous la tente, le besoin

  1. Lord Nugent fit établir un tarif élevé pour exclure de ce club les Irlandais. Le Windham a emprunté son nom à William Windham, homme éminent et secrétaire d’état en 1801.