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tous à leur entrée dans la société de porter bravement leur petitesse au nez sinon à la barbe de ces monstres hyperboliques, les hommes du Tall Club. Les statuts édictaient en conséquence des peines sévères contre celui qui aurait mis dans ses souliers des cartes ou des semelles de liège, qui se serait tenu sur la pointe des pieds dans la foule, qui aurait porté une haute perruque ou un chapeau long pour ajouter à sa taille, qui serait monté sur un grand cheval, ou qui aurait glissé un gros livre pour s’exhausser sur son siège. Comme ce club était composé de lettrés, on ne manquait jamais l’occasion d’y raconter les traits d’histoire qui pouvaient faire honneur aux petits hommes. C’était donc à qui répéterait sans cesse l’éloge du petit David qui avait vaincu le géant Goliath, du petit Alexandre le Grand, de Pépin le Bref, du petit Luxembourg, qui avait fait de Louis XIV un grand roi, et surtout du poète Horace, qu’Auguste appelait lepidissimum homunciolum. Pope nous assure avoir été de cette société de nabots : court avec de longs bras et de longues jambes, il se comparait lui-même à une araignée. S’il faut l’en croire, l’opinion unanime de ses confrères était que, le genre humain ayant toujours été s’amoindrissant depuis l’origine, l’intention de la nature était que les hommes fussent petits. Ils se flattaient donc que, le progrès aidant, leurs semblables arriveraient un jour à l’état de perfection, c’est-à-dire au type d’exiguïté que représentait si bien le Little Club.

Je m’étonnerais que l’amour n’eût point joué un rôle dans les clubs excentriques. Il existait en effet à Londres le club des Gants frangés (Fringe Glove Club), et à Oxford celui des Soupirans (Sighing Club). Une maîtresse et un poème en l’honneur de cette maîtresse étaient pour le candidat un diplôme d’admission. Celui qui exprimait la violence de sa passion dans les termes les plus pathétiques était élu président pour une nuit. Comme le lien de cette association était quelque infortune de cœur, les membres fuyaient la société des autres hommes, et s’unissaient entre eux pour ne point encourir le ridicule. Rien n’était plus incohérent que leurs discours. Le soupirant qui entrait dans la salle n’adressait point la parole à ses confrères, mais il se jetait dans un fauteuil, et se parlant à lui-même : « Je l’ai vue ! s’écriait-il. Elle n’a jamais eu si bel air que ce soir. Elle m’a regardé. Hélas ! c’en est fait de vous, mon cœur ! » Les autres, un morceau de dentelle, un éventail brisé ou une ceinture de femme à la main, ne prêtaient aucune attention à ses élégies, absorbés qu’ils étaient eux-mêmes dans leurs rêves d’amour et leurs soliloques extravagans. Les rivaux, au lieu de se battre en duel, buvaient ensemble à la santé de leur bien-aimée autant de fois qu’il y avait de lettres dans son nom, et le vainqueur était celui qui portait les toasts les plus assassins. Il y avait aussi le Widow Club,