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Le règne de Charles II fut au contraire pour les clubs comme pour le théâtre une époque de renaissance. Quelques années après la restauration, le principal rendez-vous des écrivains, des gens d’esprit, des beaux parleurs et des oisifs était le café de Will (Will’s Coffee House), qui s’élevait au coin de Bow-street. Là régnait Dryden. Il y avait son fauteuil : durant l’hiver, ce fauteuil était placé devant le feu, à un endroit déterminé ; l’été, on le transportait sur le balcon. La société se réunissait au premier étage, dans ce qu’on appelait alors la salle à manger, dining-room floor (aujourd’hui le drawing room), et où il y avait des tables particulières. On restait généralement jusqu’à minuit ; les rangs et les conditions sociales s’y confondaient ; on y voyait des étoiles de tous les degrés et des rubans de toutes les couleurs. On raconte même que les jeunes gens à la mode et les lettrés tenaient à honneur de puiser de temps en temps une prise de tabac dans la tabatière de Dryden. Monarque élu par l’assentiment universel, il fixait lui-même le sujet des discussions littéraires. C’était à qui trouverait place pour écouter avec grande attention les orateurs. Un jour se glissa dans cette réunion un enfant de douze ans ; c’était Pope qui avait été attiré par le désir de voir le vieux Dryden. Le café de Will fut à Londres un point de réunion pour les hommes d’élite, les curieux, les prêtres, les nouvellistes, jusqu’en 1710. Là, l’esprit et les nouvelles qu’on ne trouvait guère dans les écrits du temps couraient de bouche en bouche. Les chefs parlaient, les habitués faisaient cercle autour d’eux, les étrangers venaient, écoutaient et s’émerveillaient. Après 1710, la maison fut occupée par un parfumeur.

En face du café de Will s’éleva plus tard celui de Button, Button’s Coffee House[1]. C’est là qu’Addison, commençant à régner, avait installé le siège de son empire. Au lieu d’accepter sa cour comme avait fait Dryden, il la choisit ; d’un tempérament faible, d’un caractère timide et pourtant ambitieux, il cherchait le succès par des voies secrètes et couvertes. Ses adeptes étaient Steele, Budgell, Tickel, Phillips et Carey, avec lesquels il institua une sorte de confrérie ou de camaraderie littéraire, ce qu’on a en 1820 appelé un cénacle. Le propriétaire du café lui-même avait été domestique chez lady Warwick, que courtisait alors Addison. Les habitués de la maison se réunissaient, selon l’habitude des littérateurs du temps, pendant de longues heures qu’ils passaient à boire et à fumer. Addison donnait lui-même l’exemple. On a dit que ce grand essayist avait cherché dans le vin un moyen pour s’affranchir de sa timidité naturelle ; M. Thackeray lui reproche de n’avoir point connu la femme. Et comment l’eût-il étudiée dans les cafés et les tavernes ? Là, au milieu

  1. Dans Bow-street, à deux pas de Covent-Garden.,