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dans ce parc quelque bizarrerie due à la fantaisie du maître, quelque statuette placée hors de propos dans un endroit où elle n’avait que faire, quelques ifs tondus de trop près ou affectant des formes trop artificielles, ces amis étaient trop parfaits dilettanti et trop hommes d’esprit pour ne pas comprendre et ne pas excuser tous ces caprices. C’est ce parc, qui n’a jamais connu d’autres visiteurs que les initiés, d’autre bruit que le bruit discret des fêtes que vous donniez de nuit, sous ses ombrages, à la lueur fantasque des lanternes chinoises, c’est ce parc réservé aux visites mondaines que vous invitez la foule à contempler. Savez-vous à quoi vous vous exposez ? Après une première promenade, rien ne sera trop endommagé sans doute ; mais après la seconde et la troisième, que de réparations à faire ! Il faudra ratisser, balayer, sabler, effacer l’empreinte poudreuse des pas. Les commères qui se promèneront dans vos allées se répandront en louanges banales sur la beauté de vos plates-bandes, et leurs affreux marmots étendront la main pour en arracher les fleurs. Les horticulteurs et les hommes pratiques calomnieront votre gazon, et ne craindront pas de préférer à votre parterre le plus vulgaire jardin potager. De ridicules rêveurs troubleront de leurs mauvais vers le silence de vos bosquets, et sur vos arbres à la tendre écorce des amans facétieux graveront au couteau le nom de leur bien-aimée. Voilà les périls auxquels vous vous exposez en ouvrant votre parc à la foule. Il sera dévasté, ravagé, bouleversé, piétiné, et il n’est pas certain qu’en compensation, la beauté qui lui est particulière soit admirée et comprise. Les parcs aristocratiques ne sont pas une promenade faite pour la multitude ; les promenades qui lui conviennent sont de deux sortes : les jardins zoologiques avec leur ménagerie de bêtes fauves de tout poil, d’oiseaux de tout plumage, leur palais des singes et leurs échantillons de plantes bizarres, ou bien les jardins royaux aux grandes allées droites, aux massifs épais et sombres, Versailles ou Windsor. La foule en effet comprend difficilement les délicatesses de la nature cultivée, les nuances des sentimens raffinés, les réticences et les froideurs que la contrainte sociale impose aux passions, et j’en ai eu plus d’une fois la preuve à la représentation de la nouvelle pièce de M. Feuillet.

M. Feuillet nous entend-il ? Nous lui présentons ces observations parce que nous ne savons vraiment pas au juste si le succès récompensera sa tentative, et si la foule comprendra très bien les sentimens qu’il a voulu exprimer. Si par hasard le succès ne répondait pas à ses espérances, il ne faudrait pas en conclure que la pièce manque de vie, mais tout simplement que le sujet qu’il a choisi n’est pas de nature à être compris par la foule. Laissons la foule se prononcer, et voyons si elle entrera dans la pensée de l’auteur. C’est une expérience à faire.

Sous les ombrages d’un parc, — un parc non métaphorique, — erre mélancoliquement une ombre gracieuse, une robe de mousseline légère et un large chapeau de paille. Celui qui l’observerait, caché derrière une allée, la verrait avec étonnement porter son mouchoir à ses yeux pour essuyer des larmes furtives, ou interrompre sa promenade pour pousser un profond soupir. Pauvre femme ! s’écrierait-il comme son cousin Achille de Kérouare, elle souffre sans doute de quelque grande douleur inconnue ! — Eh bien ! vous vous trompez, cette ombre mélancolique, qui a nom Camille de Vardes,