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échoué avec éclat. Ce n’est pas l’excuse, mais c’est l’explication la plus naturelle de la mauvaise humeur de lord John Russell et de la déclaration par laquelle il a appris au monde que l’Angleterre allait modifier le système de ses alliances.

Nous sommes disposés pour notre compte à prendre notre parti, comme d’un fait accompli, de la fin de l’alliance privilégiée qui unissait la France à l’Angleterre, car, ainsi que nous l’avons dit, l’embarras dont souffre l’Angleterre est commun à tous ses partis et à tous ses hommes d’état. On avait prétendu à tort dans la presse française que l’opposition à la politique de notre pays était surtout excitée par les tories. Les débats parlementaires de cette session ont prouvé le contraire. Les membres de la chambre des communes qui ont pris l’initiative la plus énergique dans la discussion de la question de Savoie, M, Kinglake, sir Robert Peel, M. Stirling, M. Horsman, sont des libéraux. Le parti tory au contraire a observé une très grande réserve pendent ces vifs débats, et M. Disraeli notamment y a montré une grande circonspection. C’est à peine si le chef des tories a éclairé de quelques traits obliques la situation générale de l’Europe dans le spirituel discours qu’il a prononcé à propos de la seconde lecture du bill de réforme. Cette seconde lecture a été votée dans une chambre presque déserte. L’indifférence avec laquelle ce bill est accueilli est bien un signe du temps. Les préoccupations sont ailleurs ; c’est ce qu’a senti M. Disraeli, et c’est dans ces inquiétudes de la politique étrangère qu’il a puisé son plus fort argument contre l’opportunité d’une réforme parlementaire de tendance démocratique. Ses paroles n’ont pas été reproduites dans la presse française ; mais elles sont curieuses à citer pour donner une idée du malaise que ressent l’Angleterre dans ses relations extérieures : « Quelle est maintenant notre situation ? est-elle la même qu’à l’époque où lord John Russell a pour la première fois soulevé cette question de réforme ? Une grande nation militaire, qui pour la valeur n’a pas de rivale, qui possède l’organisation publique la plus complète qui ait existé depuis le temps de l’ancienne Rome, abondante en ressources d’hommes, d’argent et de matériel militaire, si éprise de renommée qu’on l’a vue plusieurs fois échanger la liberté contre la gloire, ne cache plus ses aspirations à l’empire universel. Au point de vue européen, la perspective est plus dangereuse qu’à l’époque du grand roi, car au siècle de Louis XIV l’Europe était pleine d’énergie militaire ; aujourd’hui l’Europe est abattue et découragée. Au point de vue anglais, l’aspect des affaires est infiniment plus dangereux qu’au temps de la république et de l’ancien empire français, car alors la France était notre implacable ennemie ; aujourd’hui elle est notre permanente amie. La France alors menaçait nos foyers ; aujourd’hui elle décore nos citoyens. La France pourchassait notre commerce par son blocus continental ; aujourd’hui elle facilite les échanges commerciaux avec nous par des traités d’amitié. Il n’y a plus rien pour éveiller la vigilance du peuple anglais… Est-ce bien le moment de s’éloigner