Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/752

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cultés nous en avons ajouté une dernière, et celle-ci d’une ampleur européenne : nous avons voulu avoir du Piémont une compensation territoriale, et obtenir par l’annexion de la Savoie une des limites qui nous ont été tracées par la nature. Dans l’accomplissement de cette tâche, nous avons mis autant de dextérité que de promptitude. Friande de traités de commerce, amoureuse de l’émancipation de l’Italie, l’Angleterre avait une répugnance profonde pour l’annexion de la Savoie. Nous lui avons donné un traité de commerce, elle nous a prêté son entremise empressée pour nous aider à sortir des chaînes morales de Villafranca et de Zurich, et ses succès commerciaux et italiens ont si doucement endormi ses craintes à l’endroit de la Savoie, que lord Palmerston faisait encore espérer, il n’y a guère plus de trois semaines, à la chambre des communes, que l’empereur des Français renoncerait à cette annexion, si l’Europe consultée s’y montrait contraire. L’Autriche fascinée a été aussi coulante qu’on pouvait le désirer sur l’arrangement tel quel de l’Italie, pourvu qu’on lui permît de faire en l’honneur du passé et au profit de l’avenir la vieille distinction entre le droit et le fait. Nous n’avons pas eu le bonheur d’obtenir du pape un gouvernement séculier pour la Romagne ; mais il a été avéré en fin de compte que, si la Sardaigne prenait les Légations, c’était au mépris de nos conseils. Le Piémont, si entreprenant et si fin, qui depuis un an menait avec une pétulance narquoise le coche de la politique, a été tout à coup obligé, à sa grande stupéfaction, de nous repasser les rênes, et a dû se tenir pour très heureux de nous rendre la liberté de retirer notre armée, et de nous donner, par un bon contrat de droit monarchique, la Savoie et Nice en compensation des annexions que nous l’avons laissé accomplir, sous la sanction du droit populaire, par la vertu du suffrage universel, en face des protestations des anciens princes et sous les foudres de l’excommunication. Nous avons donc la Savoie : la Russie le trouve tout naturel, puisque c’est l’effet d’une donation entre souverains ; la pauvre Autriche s’en console en pensant qu’elle n’a plus Modène ni la Toscane, et puisque la France se donne sa voix, ce remaniement de territoire a, parmi les cinq grandes puissances, l’acquiescement de la majorité. La mauvaise humeur de l’Angleterre démontre avec à-propos que, si nous sommes touchés des services, qu’elle a pu nous rendre, et dont nous avons su la remercier avec courtoisie, nous n’en sommes pas enchaînés. Nous avons eu l’initiative, l’adresse et la célérité des mouvemens ; nous avons la puissance manifeste, reconnue, enviée et redoutée. Au milieu d’une Europe confuse, divisée, déconcertée, hésitante, la France exubérante de force, agissante et agrandie : — la toile pouvait-elle tomber sur un plus beau tableau ?

Nous sommes sincèrement sensibles à la grandeur d’un tel spectacle. Nous sommes de ceux qui placent les conditions intérieures de la puissance d’un peuple bien au-dessus des manifestations extérieures de son ascendant ; nous sommes de ceux qui, comme eût dit l’auteur du Baron de Fœneste,