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ont le droit d’exister et le droit de protester. Elles subissent le joug de l’opinion régnante, elles ne l’acceptent pas. Elles voient les multitudes applaudir à tort, elles gardent les mains dans leurs poches. Elles protestent contre la majorité toute-puissante, dans la pensée que leur protestation ne sera pas vaine, et qu’elle triomphera à son heure. M. Feydeau s’est amusé à chercher les motifs qui ont animé ses contradicteurs, et il en a trouvé de fort divers. Les uns l’ont attaqué parce qu’il n’était pas ultramontain, les autres parce qu’il n’était pas marquis, ceux-ci par hypocrisie pudibonde, ceux-là enfin par jalousie de la gloire qu’il avait acquise et de l’argent qu’il avait gagné (je cite textuellement). M. Feydeau s’égare, et nous ne pouvons que lui crier : casse-cou. Qu’il soit entré quelques atomes de politique et de religion dans les attaques dont il a été l’objet, je n’en disconviens pas, et je n’y vois aucun mal ; cependant le motif de ces attaques a été généralement beaucoup plus littéraire que politique ou religieux, et M. Feydeau l’a découvert sans y songer. « Le public faisait cercle autour de mon œuvre, dit-il dans son nouveau roman, ils ont invectivé le public. » M. Feydeau s’indigne de cette audace ; il n’y a pas de quoi. Oui, certaines attaques ont eu bien réellement pour but de disputer à la foule le succès obtenu par M. Feydeau ; oui, certaines apostrophes au public ont eu bien réellement pour but de faire revenir le public sur son opinion. Pourquoi pas ? Ces attaques ne sont qu’une des mille applications des droits que nous avons reconnus aux minorités. Comment ! moi, appartenant à une minorité, je vois le public faire cercle autour d’une œuvre qui blesse mes goûts, mes préférences littéraires, ma manière de sentir et de penser, d’une œuvre d’autant plus facilement acceptée qu’elle se présente sous un patronage puissant, et je garderais le silence ! Mais tout au contraire me fait un devoir de parler, car si le public prend goût à de telles œuvres, il oubliera ou dédaignera celles qui me sont chères. Ce succès est une défaite pour mes préférences littéraires, et je l’accepterais ! J’ai le pouvoir d’élever la voix, et je garderais lâchement le silence en me contentant de ne pas souscrire à l’engouement général !… Je parlerai donc ; mais sur quel ton et avec quelle mesure ? J’entends des clameurs assourdissantes, et pour protester contre elles, je me contenterais de chuchoter à voix basse, combinant ainsi jésuitiquement les devoirs que m’imposent mes opinions et les avantages d’une lâche complicité ! Non, ma voix devra être assez forte pour dominer les clameurs contre lesquelles je veux protester. Donc je m’insurge, et si par hasard mon insurrection réussit, tant mieux ; comme dirait un critique de mes amis, « ma Princesse de Clèves est sauvée. »

Disputer ce succès à la foule et arracher, si cela était possible, le public à son engouement, telle est la véritable raison d’être de quelques-unes