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du comité des romanciers. Voilà l’Eldorado moral qui s’offre à nos regards épouvantés ! Vous croyez que ce sont là tous les dangers qui nous menacent ? Oh ! que non pas. Nous n’avons touché qu’un seul côté de la question. Les dangers que nous avons mentionnés ne menacent après tout que les sommités sociales, les riches, les puissans, les aristocrates, tous les suspects naturels dans une société démocratique. Les principes démocratiques, nous dit-on, trouvent une manière de triomphe dans ces scandales, qui donnent une certaine satisfaction aux basses passions de l’envie, de la jalousie, du dénigrement. Les pauvres aiment à voir humilier les riches, et les imbéciles de toute condition aiment à se réjouir des mésaventures des gens d’esprit. Ces sentimens sont bien naturels, et il faudrait être naïf pour s’emporter contre eux. Oui, mais voici un autre côté de la question qui aura peut-être moins de chance de plaire à la démocratie. Quand on aura reconnu les bons offices que peut rendre la littérature romanesque et les bons coups fourrés qu’elle peut inventer, tout le monde voudra l’avoir à son service, et la victoire restera en fin de compte au plus puissant et au plus riche. Alors on verra s’établir en France, sous une nouvelle et étrange forme, les mœurs de l’Italie du XVe siècle ; les romanciers remplaceront les bravi vénitiens, l’encre qui découlera de leur plume vaudra l’acqua tofana napolitaine. Quand il se rencontrera par hasard un Ezzelin faubourg Saint-Honoré ou un Borgia faubourg Saint-Germain, il n’aura plus à regretter de s’être trompé d’époque. La littérature romanesque lui fournira les moyens de soulager sa nature, comprimée par la douceur des mœurs modernes, et de satisfaire ses instincts de meurtre. On vous dépêchera un romancier comme autrefois on vous dépêchait un spadassin. Et ne croyez pas que vous serez protégé par une condition humble et un nom ignoré ! Qu’importe que le monde ne vous connaisse pas et ne se soucie pas du livre où vous serez assassiné, si les gens de votre quartier lisent ce même livre avec avidité ? Qu’importera que le meurtre ait ou n’ait pas de retentissement, pourvu qu’il soit commis ? On aura donc différentes catégories de romanciers, comme on a diverses classer d’enterremens. Voilà l’aimable révolution qui est en train de s’accomplir…

Mais assez sur ce sujet lugubre. J’aimerais à n’en pas dire davantage, bien que les réflexions se pressent dans mon esprit. Voyons la question sous un jour moins sombre, et, s’il est possible, ne cherchons dans le scandale même que des enseignemens littéraires. Ne craignons même pas de les demander à des livres qui ne semblent guère mériter une discussion sérieuse.

Littérairement, un des plus grands dangers du scandale, c’est