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individuelle de soixante cartouches, on arrive au chiffre énorme de 8,400,000 coups de fusils. En regard, quel est le résultat obtenu ? Il est toujours fort difficile d’évaluer avec exactitude les pertes réelles faites dans une bataille, parce qu’il se trouve des prisonniers, des hommes égarés, disparus, des blessés recueillis dans les fermes voisines, dont le sort n’est connu que plus tard ; en compulsant les meilleurs documens néanmoins, on peut s’arrêter pour l’armée alliée à une perte de près de dix-huit mille hommes, dont un sixième aurait péri sur le champ de bataille (un tué pour cinq blessés est la proportion la plus habituelle à la guerre). La part de l’artillerie et de l’arme blanche doit être très grande dans une lutte où l’on en a fait un si grand usage ; supposons, ce qui n’est pas, qu’elle s’élève au tiers seulement : il resterait environ deux mille hommes tués et dix mille blessés pour la part de l’infanterie. Chaque soldat atteint aurait donc coûté 700 coups de fusil, et chaque mort 4,200 ; or, comme le poids moyen des balles est de 30 grammes, il aurait fallu au moins 126 kilogrammes de plomb par homme tué, en sorte que, même en tenant compte de ceux qui ont succombé plus tard aux suites de leurs blessures, on retombe au moins dans l’évaluation du maréchal de Saxe. La grande supériorité des armes modernes n’a donc pas pour effet de rendre les combats plus meurtriers, et il est encore permis d’espérer que le perfectionnement de nos engins de guerre n’amènera pas de sitôt la destruction du genre humain.

Nous avons parlé jusqu’à présent des armes portatives adoptées en France et dans la majorité des pays civilisés ; disons en terminant quelques mots d’autres systèmes qui, s’ils n’ont pas donné encore d’aussi bons résultats, sont susceptibles cependant de passer dans la pratique, si l’on parvient à faire disparaître des défauts qui en compensent encore, et au-delà, les avantages. Divers arquebusiers et des militaires eux-mêmes ont été frappés des inconvéniens que présentent souvent la lenteur du mode de chargement des fusils et l’obligation de se servir d’une baguette. Ils ont cherché à y remédier au moyen du chargement par la culasse, très usité déjà pour les fusils de chasse. On avait remarqué aussi combien la petitesse des capsules les rendait difficiles à saisir par un temps un peu froid. En France cependant, il a semblé préférable de se résigner à la sujétion qui en résulte pour le soldat, et de ne pas adopter les cartouches à amorce intérieure, dont la présence est une cause de danger permanente dans les magasins et à la guerre pendant les transports. S’il n’y a pas de raisons valables de modifier cette décision, on ne saurait être aussi affirmatif en ce qui concerne le chargement par la culasse, car il présente à côté de ses inconvéniens de notables avantages. Malheureusement aucun des systèmes imaginés