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d’esprit que l’on aurait pu à peine attendre d’un administrateur très expert et d’un guerrier vieilli sous le harnais. Non-seulement il eut la précaution, avant son départ, d’assurer l’ordre intérieur dans ses états, mais encore il étudia avec une attention scrupuleuse l’organisation et l’armement de ses troupes. Sévère sur la discipline, dont il donnait le premier l’exemple, il chercha à introduire dans son armée des costumes uniformes, simples et peu embarrassans. Voulant surtout dérouter ses ennemis par la promptitude de ses manœuvres, il s’attacha à perfectionner et à alléger autant que possible l’armement du soldat, et il supprima une partie des armures défensives ; ses régimens eurent des armes à feu plus légères et plus efficaces que toutes celles alors connues, et ces améliorations furent complétées par l’invention des cartouches et des gibernes. Enfin il inspira à ses mousquetaires assez de fermeté pour affronter les charges de la cavalerie allemande, qu’ils rompirent souvent par leur feu. C’était un véritable grand homme, dont la gloire n’a pas été surfaite par les historiens, et la puissante organisation dont il avait doté son pays, les généraux qu’il avait formés par ses préceptes, lui survécurent et assurèrent longtemps à la Suède une importance hors de proportion avec l’étendue médiocre et la pauvreté de son territoire. Après les perfectionnemens qu’il apporta aux armes à feu, les mousquetaires prirent dans tous les pays sur les piquiers une supériorité qui a toujours été en grandissant, jusqu’à la suppression complète de ces derniers, à la fin des guerres de Louis XIV.

En réfléchissant au long espace de temps qui s’était écoulé depuis la découverte de la poudre, on ne peut s’empêcher de reconnaître que l’esprit d’invention, d’ordinaire si actif et si ingénieux, ne s’était pas appliqué d’une manière heureuse au perfectionnement des armes offensives. On ne saurait en donner pour cause l’impuissance des ouvriers pour mieux faire à une époque où ils étaient peu instruits, si l’on se rappelle les magnifiques armures défensives du moyen âge, dont un certain nombre sont parvenues jusqu’à nous, et qui sont les plus brillans ornemens de nos musées. Il faut bien reconnaître l’influence funeste d’une profonde incurie, puisqu’il y a cent cinquante ans encore les canons de fusils étaient assez défectueux pour que l’explosion en fût considérée comme un fait ordinaire et prévu. L’approvisionnement des places fortes comportait toujours une certaine quantité de ces canons comme rechange, et des commandans se plaignaient, dans leurs correspondances, d’avoir consommé jusqu’à trois mousquets par soldat pendant la durée d’un seul siège. Aujourd’hui cependant nos fusils ne sont presque jamais réformés pour cause d’usure, même après avoir lancé plus de vingt-cinq mille balles !

Durant des siècles, les armes à feu ne furent pas seulement de