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100 ; elle n’aura pas non plus de portefeuille à échéances successives : elle aura tout simplement des obligations que le public sera d’autant moins pressé de prendre à 4 pour 100, que le taux de l’argent sera plus élevé. Il est facile alors de prévoir quelle sera la situation, ce sera celle d’une liquidation avec perte.

Quand on parle de créer une banque avec faculté d’émettre du papier-monnaie, on s’imagine qu’on peut étendre indéfiniment la circulation fiduciaire, et qu’il suffit qu’une banque émette du papier pour que le public le prenne : c’est une erreur capitale. Tant qu’on maintient le principe de la conversion facultative du papier en espèces, ce n’est ni le législateur ni les banques qui fixent l’étendue de la circulation fiduciaire, c’est le public tout seul. Comme il est libre d’accepter ou de refuser les billets qu’on lui propose, et comme, une fois, acceptés, il est libre encore de les rapporter pour les convertir, il n’en prend qu’autant qu’il en a besoin, qu’autant qu’il a confiance dans l’établissement qui les émet. Comment se fait-il qu’il n’y ait aujourd’hui en France que pour 709 millions de billets au porteur faisant fonction de monnaie[1] ? Est-ce la Banque de France qui se refuse à en émettre davantage ? sont-ce ses statuts qui le lui défendent ? Pas le moins du monde ; c’est tout simplement le public qui n’en veut pas davantage, et qui vient échanger contre espèces ceux qu’on lui donne en plus. Comment se fait-il surtout que dans les momens de crise, alors que le capital est rare et le taux de l’escompte élevé, alors que l’intérêt de la Banque semble la pousser à augmenter son capital en étendant sa circulation fiduciaire, comment se fait-il que tout le contraire ait lieu et que la circulation diminue au lieu d’augmenter ? Ce n’est pas à sa prudence seule qu’il faut attribuer un tel résultat, c’est tout simplement aux dispositions du public, toujours peu empressé à faire crédit en de pareils momens. Les billets au porteur que le public accepte ne sont pas autre chose en effet qu’un crédit qu’il accorde à la Banque, crédit plus ou moins étendu selon les circonstances, mais dont il est toujours le maître de fixer la limite. La circulation fiduciaire de la Banque de France représente tout ce que le public veut de billets au porteur ; si elle n’est pas plus élevée, c’est qu’il n’en veut pas davantage. On aurait beau créer d’autres banques avec la même faculté d’émettre des billets, on n’arriverait pas à en augmenter le nombre. Il n’y a qu’un moyen d’étendre la circulation fiduciaire, c’est de supprimer la conversion facultative en espèces : alors c’est du papier-monnaie tout pur. Nous n’avons pas besoin de discuter ce système ; le papier-monnaie tout pur est un expédient auquel recourent

  1. Voir le bilan de la Banque de France du 8 mars 1860.