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leur ruine comme un détail dans le progrès de la richesse publique, se trompent du tout au tout. Par leur organisation actuelle, par les nombreux intérêts qu’elles représentent, les compagnies de chemins de fer servent de pivot à la richesse publique ; le jour où elles seraient ruinées, ce ne serait pas seulement des milliers d’actionnaires qui perdraient leur revenu, ce qui a son importance : ce serait l’exécution complète du réseau des chemins de fer qui serait compromise et la richesse publique qui serait atteinte dans sa base. L’économiste allemand List dit quelque part que « des entreprises ruinées ressemblent au cadavre d’un pendu, qui fait reculer tous les êtres de la même espèce. » Nous voudrions bien savoir quelles compagnies se présenteraient pour achever le réseau, c’est-à-dire pour faire les parties les moins productives, lorsqu’elles auraient sous les yeux l’exemple de compagnies qui se seraient ruinées en faisant les meilleures. Il n’y en aurait aucune assurément, et l’état seul aurait la charge de l’achèvement de ce réseau vis-à-vis des populations ; c’est là ce qu’il a voulu éviter en prêtant aux compagnies le concours de son crédit et en consentant à la loi du 11 juin 1859. Il s’agit maintenant de tirer les conséquences de cette loi en effaçant l’écart qui existe entre le taux de la rente et celui des obligations.

Dans le système qui consiste à créer un grand-livre des chemins de fer et à fondre toutes les obligations en une seule, dite omnium, qui serait garantie intégralement par l’état, on se préoccupe surtout de supprimer la multiplicité des titres, qui fait l’embarras des compagnies en même temps qu’elle gêne le choix des capitalistes ; c’est une amélioration. Il est incontestable que, lorsqu’il n’y aura plus qu’un seul titre d’obligation, et qu’il sera garanti intégralement par l’état, il obtiendra plus de faveur auprès du public et pourra se placer à des conditions plus avantageuses que les titres multiples d’aujourd’hui, qui n’ont de la part de l’état qu’une garantie incomplète. Cependant l’état peut-il laisser établir sous sa propre garantie, à côté du grand-livre de la dette publique, un autre grand-livre des chemins de fer ? Si les titres de ce nouveau grand-livre avaient les mêmes avantages que la rente comme garantie, et de plus un avantage tout spécial dans la prime de remboursement, il pourrait arriver qu’ils fussent plus recherchés que ceux de l’état ; alors les inconvéniens sautent aux yeux. L’état ne peut pas donner les mains à l’organisation d’un crédit plus recherché que le sien. À tant faire que d’organiser un grand-livre des chemins de fer sous la garantie complète de l’état, il n’y a qu’une chose possible : c’est que ce soit l’état lui-même qui tienne ce grand-livre, qui emprunte pour les compagnies. Alors il n’y a plus de différence entre les titres de la rente et ceux des