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stérilité des êtres qui, comme les hybrides et les métis, sortent de la règle commune est déterminée sans doute par des différences, peut-être très légères, qui affectent surtout les organes et le système même de la reproduction. Sauf en ce qui concerne la facilité de la propagation, on ne peut observer aucune distinction bien essentielle entre les hybrides et les métis. Quand on croise deux espèces, il y en a toujours une qui lègue la ressemblance la plus frappante à l’hybride et laisse en quelque sorte l’empreinte la plus forte ; la même chose a lieu pour deux variétés et les métis qu’elles engendrent. Les hybrides dus à un croisement réciproque sont généralement ressemblans ; on peut en dire autant des métis dans le même cas. Les uns et les autres peuvent enfin, par des croisemens bien opérés, être ramenés par degrés à l’une quelconque des deux formes originaires. Il faut donc admettre, pour tirer de ces faits une conséquence générale, que les lois en vertu desquelles se règle la ressemblance des parens et des descendans sont toujours les mêmes, qu’elles ne dépendent en rien de l’affinité plus ou moins grande des parens, ni de leur place particulière dans la classification systématique.

Dès lors il n’est guère possible, en se plaçant à un point de vue vraiment philosophique, d’établir une distinction fondamentale entre les espèces animales et les variétés. Ce cours d’eau n’est pas très large, vous le nommez torrent ; il grossit en descendant la plaine, vous l’appelez rivière. Dites-moi, je vous prie, à quel point précis le torrent finit et la rivière commence. La stérilité relative des hybrides s’explique suffisamment par les anomalies de leur organisation exceptionnelle ; mais qui nous assure qu’il n’a pu souvent se présenter des cas où, en s’unissant entre eux, les hybrides ont donné naissance à des êtres plus féconds qu’eux-mêmes, précisément parce qu’à chaque génération les différences organiques entre les parens allaient en s’atténuant ? La fertilité, au lieu de décroître, a pu quelquefois augmenter si rien dans les circonstances extérieures n’y mettait obstacle. Si, comme beaucoup de naturalistes sont enclins à le penser, toutes nos races de chiens sont dues au croisement de quelques espèces primitives, il faut admettre forcément qu’il y a eu à un certain moment des hybrides féconds. M. Darwin suppose, peut-être avec raison, que cette fécondité a été favorisée par la domesticité, qui, en soumettant les animaux à la vie commune, à un régime uniforme, opère entre eux des rapprochemens nouveaux, et fait en quelque sorte passer les organismes les plus variés sous un même niveau.

Dès qu’il est admis qu’il n’y a aucune différence essentielle entre les espèces et les simples variétés zoologiques, on comprend aisément qu’une race particulière aura droit au titre d’espèce aussitôt