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rebours par conséquent, et il est presque impossible de lire son écriture autrement que dans un miroir. Homme à recettes, à mystères, à secrets, né dans un temps où l’alchimie était encore en honneur, on croit que le désir de soustraire ses inventions à la curiosité et à l’indiscrétion ne fut pas étranger à cette manie. Quoi qu’il en soit, si ses livres nous restent en partie scellés, nous avons ses nombreux dessins, en quelque sorte la contre-partie de ces ouvrages, et ce n’est pas sans un certain effroi qu’on parcourt, guidé par d’admirables vestiges, tous les replis de cette intelligence prodigieuse, dont l’étendue et la variété au moins ne paraissent pas pouvoir être surpassées. À cet égard, Paris n’a rien à envier à Oxford, à Londres, à Milan. Le musée du Louvre a acheté, il y a quelques années, l’admirable recueil qui était naguère aux mains du libraire Vallardi, de Milan, et cette belle acquisition, la meilleure (j’allais dire la seule bonne) que le Louvre ait faite depuis longtemps, complète et rend unique au monde la collection des œuvres de Léonard que renferme notre grand établissement national.

Cet énorme volume, possédé probablement en premier lieu par Melzi, ne contient pas moins de trois cent soixante-dix-huit dessins. Plus de deux cents, dont une quarantaine de premier ordre, sont indubitablement de la main de Léonard. Tout ce qu’embrassaient ses immenses études s’y trouve représenté : des bijoux et de merveilleuses pièces d’orfèvrerie, des études d’architecture pour le dôme de Milan, des épures de la plupart de ses machines, des pompes d’épuisement, des bateaux à nageoires, des armes de toute sorte, des canons de toute grandeur, de toute proportion, une admirable planche de son anatomie du cheval, un alphabet illustré, celui probablement qu’il fit pour le jeune duc de Milan. On y remarque encore de très nombreuses études d’après les médailles de Victor Pisanello, des séries entières d’animaux, chevaux, ânes, chevreuils, buffles, chameaux, singes, chiens, jusqu’à des loirs, des lézards, des tortues et des colimaçons, de merveilleux oiseaux peints à l’aquarelle, enfin les fleurs les plus élégantes, celles dont la forme devait le plus flatter son goût parfait : des ancolies et des cyclamens. Je ne parle pas de ses études de figures : plusieurs d’entre elles sont importantes et de la plus grande beauté, et il serait désirable qu’on en reproduisît au moins quelques-unes par la photographie, de telle sorte que le public pût apprécier ce trésor autrement que par ouï-dire[1].

Je ne puis dire cependant que l’examen de ce recueil ait agrandi

  1. M. Leroy a déjà gravé en fac-similé une des plus belles têtes d’homme de ce recueil. Cette gravure est accompagnée d’une excellente notice par M. Reiset.