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précédé de sa grande réputation, vint à Milan et fut présenté au duc Louis Sforza, successeur de Jean Galeas. Le duc aimait beaucoup à entendre pincer de la lyre ;… aussi Léonard arriva-t-il avec un instrument qu’il avait fabriqué lui-même. Cette lyre, presque entièrement en argent, avait la forme d’un crâne de cheval, disposition bizarre, qui donnait aux sons quelque chose de mieux vibrant et de plus sonore. En cette occasion, il surpassa tous les musiciens qui avaient été appelés pour se faire entendre, et de plus il fut jugé le plus habile poète improvisateur de son temps. Le duc, après l’avoir entendu, fut tellement ravi de ses talens qu’il le combla d’éloges et de caresses. Il lui demanda aussitôt un tableau d’autel, la Nativité de Notre-Seigneur, que le prince offrit à l’empereur quand il fut terminé. »

Le patronage du pusillanime, voluptueux et prodigue Louis répondit à tout ce que Léonard en avait attendu, et les seize ou dix-huit années de son séjour à Milan furent les plus heureuses et les plus fécondes de sa vie. Le faste d’une cour brillante convenait à ses goûts de plaisir. Moins scrupuleux que ne l’eût été Michel-Ange en pareil cas, son pinceau se prêta plus d’une fois aux fantaisies licencieuses de son maître. Il ordonnait les fêtes dont il était lui-même l’ornement, et les mariages de Jean Galeas avec Isabelle de Naples, du duc lui-même avec Béatrix d’Esté, lui fournirent l’occasion de déployer toutes les ressources de son inventif esprit. Ces distractions ne ralentissaient cependant ni ses études ni les travaux d’un autre ordre dont Louis l’avait chargé.

Son premier soin paraît avoir été de grouper autour de lui quelques élèves et d’organiser cette académie de Milan dont le but même est si mal connu. Il l’avait créée ou du moins complètement réorganisée ; elle portait son nom, comme l’indiquent une phrase de Vasari et un sceau sur lequel sont inscrits ces mots : Academia Leonardi Vinci, dont il existe une très ancienne gravure, de la main de Léonard probablement, qu’Amoretti a reproduite en tête de ses mémoires, et qui représente un de ces bizarres enroulemens de cordes, une sorte de nœud compliqué qu’on rencontre si souvent dans ses dessins. Toutefois on ignore quelle était la nature précise des études qui se faisaient dans cette académie, et de quelle importance était le rôle qu’y jouait son fondateur lui-même. École ou corps savant, Léonard paraît s’en être beaucoup occupé, et à en juger par un grand nombre de ses manuscrits, qui semblent être bien plutôt des préparations sous forme de notes pour des leçons publiques que des ouvrages définitivement rédigés, on peut croire qu’il en était le principal, sinon l’unique professeur. Si, comme je le pense, la plupart de ses manuscrits de Milan se rapportent à son