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me livrer à l’étude des évolutions navales, quand je pourrais rassembler les onze bâtimens qu’il plaçait sous mes ordres ; mais il avait exigé que je ne perdisse point de vue le soin plus essentiel encore de faire respecter notre pavillon et d’entourer les opérations de nos bâtimens de commerce de toutes les garanties qu’il serait en mon pouvoir de leur donner. J’ai indiqué en quelques lignes les résultats des manœuvres d’ensemble auxquelles il nous fut trop rarement permis de nous livrer. Je voudrais maintenant, sans m’appesantir sur les diverses missions confiées aux navires de la station des Antilles, en dire assez cependant pour bien faire apprécier aux esprits les moins disposés à reconnaître la nécessité d’une marine l’embarras dans lequel, même au milieu de la paix la plus profonde, pourrait se trouver jeté un grand état dépourvu d’un établissement naval suffisant.

De longues guerres laissent toujours après elles des habitudes de désordre et de turbulence difficiles à déraciner. Les premières années qui suivirent la chute de l’empire furent marquées entre toutes par une sorte d’anarchie maritime ; les plus simples notions du droit des gens étaient devenues confuses. Dans la Méditerranée, le commerce européen avait à souffrir des déprédations commises par les navires barbaresques ; dans la mer des Antilles, il se trouvait exposé à des attaques plus redoutables encore. C’était là que les aventuriers sans emploi de toutes les nations semblaient s’être donné rendez-vous pour y exercer leur coupable industrie, pour vivre de pillages à main armée, aux dépens des navigateurs paisibles. Dans l’espace d’une année, vingt-trois navires de commerce français avaient été enlevés ou dévalisés, tant par les pirates de la côte de Cuba que par les corsaires colombiens et espagnols. Quand les équipages n’étaient pas massacrés, ils étaient jetés sans vêtemens et sans vivres sur quelque plage déserte. La plupart du temps ils étaient soumis à d’atroces tortures. Nous avions donc à sévir contre trois sortes d’ennemis différens : les pirates, les corsaires autorisés par le gouvernement de la Colombie, et les forbans qui se couvraient des couleurs espagnoles.

La piraterie avait eu dans la mer des Antilles plusieurs phases distinctes. Les premiers pirates furent des émigrés espagnols venus des côtes de la Floride et de la Nouvelle-Orléans. Ces émigrés, qui se croyaient victimes de l’injustice et de la rapacité du gouvernement des États-Unis, armèrent quelques bâtimens et commencèrent à donner la chasse aux navires de commerce américain. Bientôt ils prétendirent exercer sur les Anglais et les Français, sur tous les navigateurs étrangers, de justes représailles des attaques ou des mauvais procédés dont l’Espagne à diverses époques avait été l’objet.