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d’évolutions, composée de deux vaisseaux et d’un certain nombre de frégates, fut réunie dans la mer des Antilles. La réputation qu’on voulait bien m’accorder de m’être toujours occupé avec ardeur des détails techniques de notre profession me désigna pour ce commandement. Je l’exerçai pendant dix-huit mois. Quelques officiers se souviennent peut-être encore des résultats que nous obtînmes pendant la campagne dont la mer des Antilles fut le théâtre de 1824 à 1825. La Havane vit alors pour la première fois une escadre formée en ligne de bataille entrer beaupré sur poupe dans son port. Les débouquemens de Saint-Domingue, la baie de Port-au-Prince et celle de la Chesapeake, la passe dangereuse de l’Iroise, où nos onze bâtimens louvoyèrent toute une nuit sans se séparer, tous ces parages féconds en accidens, si redoutés même des bâtimens isolés, furent également témoins de la précision de nos manœuvres. Il se forma en peu de temps à cette école de très bons tacticiens, et j’eus ainsi la satisfaction d’avoir pu, avant de clore ma carrière active, renouer la chaîne des précieuses traditions auxquelles d’imprudens esprits pressaient la restauration de renoncer.

On est moins étonné de la fière contenance de la marine française au début de la guerre d’Amérique, quand on la voit s’essayer six ans auparavant, dans une studieuse et instructive campagne, aux manœuvres qu’elle accomplira en mainte occasion sous le feu de l’ennemi. Le comte d’Orvilliers fut plus heureux que moi. La campagne d’évolutions à laquelle il présida, du mois de mai au mois de septembre 1772, fut le prélude d’une campagne de guerre ; celle que je dirigeai dans la mer des Antilles ne devait me préparer qu’aux utiles, mais obscures fonctions qui allaient occuper les dernières années de ma carrière. Cette carrière cependant m’eût paru incomplète, si j’eusse dû la terminer sans avoir commandé une escadre. C’était la suprême satisfaction qui manquait à ma vie, le suprême enseignement qui manquait à mon expérience. La vie d’escadre est pour le marin ce qu’est pour le soldat la vie des camps. Supprimez-la, vous n’avez plus de traditions, plus d’unité ni d’uniformité dans le service. L’inspiration plus ou moins heureuse de chaque capitaine devient la seule loi. Où vous aviez mis l’ordre et la lumière, le caprice individuel ramène le chaos. « Les campagnes isolées, écrivait d’Orvilliers la veille du combat d’Ouessant, peuvent former des marins ; elles ne forment point d’officiers. » Il faut en effet la réunion de plusieurs navires pour qu’on puisse étudier la science des mouvemens d’ensemble, et s’exercer à ces manœuvres délicates dans lesquelles la moindre faute a sa gravité. Les évolutions navales apprennent à penser vite et à ordonner promptement. Pour y jouer convenablement son rôle, il faut avoir acquis par une longue et journalière