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des morceaux qui remplissent le premier acte ne méritent une mention particulière, si ce n’est quelques mesures de mélopée pendant que la vieille marquise de Villabianca fait semblant de lire dans un livre l’histoire de la malheureuse Elvire, d’où provient le titre de la pièce. On pourrait à la rigueur trouver agréable là barcarolle que chante Gennaro au second acte, si le moule de cette mélodie, accompagnée en accords plaqués, n’existait pas depuis longtemps. Le finale qui vient clore cet acte, le plus mouvementé de la pièce, aurait pu offrir à M. Ambroise Thomas l’occasion d’écrire un morceau de maître, s’il eût encadré, dans un thème large et bien développé, tous les incidens scéniques qui surgissent depuis l’apparition du podestat avec les habits de la vieille marquise. Le sextuor qui forme l’andante, ainsi que la conclusion bruyante qui le suit, ne rachète pas le décousu de cette grande scène, dont le musicien n’a pas su tirer parti. En général, les compositeurs sont bien plus coupables de la chute d’un ouvrage dramatique qu’ils ne sont disposés à en convenir. Au troisième acte, il y a une agréable romance que chante le chevalier Gennaro à la marquise de Villabianca redevenue jeune et belle. Telle est cette œuvre pâle et débile qui s’intitule le Roman d’Elvire, qui ne peut rester au théâtre, et qui n’aura un certain nombre de représentations que grâce à la mise en scène et à Mlle Monrose, qui est charmante dans le rôle de la marquise. M. Montaubry remplit celui de Gennaro avec ce mélange de bonnes qualités et d’afféterie qu’il possède depuis qu’il chante à Paris. Parviendra-t-il à épurer son goût et à simplifier son style ?

On a repris aussi à l’Opéra-Comique le charmant petit opéra, Galathée, de M. Victor Massé. Le rôle principal, qui a été créé jadis par Mme Ugalde d’une manière si remarquable, est rempli aujourd’hui par Mlle Cabel, que le ciel n’a pas faite pour rendre l’extase de la volupté païenne.

Le succès continu l’Orphée et de Mme Viardot n’empêche pas la direction du Théâtre-Lyrique de songer à l’avenir et de prévoir les jours difficiles. Après un petit acte, Ma Tante dort, qui a été donné le 21 janvier, et dont la musique facile et de bonne humeur est de M. Caspers, le Théâtre-Lyrique a livré à la curiosité publique, le 18 février, Philémon et Baucis, opéra en trois actes de M. Gounod, qui est l’enfant gâté de la maison. C’est toujours en tremblant que je vois des faiseurs de bouts-rimés porter la main sur un de ces sujets délicats qui appartiennent au trésor poétique de l’humanité. Si le despotisme n’était une chose haïssable qui pervertit le cœur et la pensée de celui qui l’exerce, on voudrait parfois pouvoir interdire à des esprits grossiers de toucher à ces pieuses légendes, plus vraies que l’histoire, qui racontent les merveilles du sentiment. Ce n’est point Ovide ni La Fontaine qui ont créé ce beau conte d’or de l’amour dans le mariage, du bonheur dans la simplicité ; c’est le cœur humain, c’est l’imagination ravie des premières générations. N’est-ce pas la marque de notre noble nature que d’apprécier le bien au milieu de l’abjection, de concevoir le bonheur et de respecter la modération des désirs au sein du faste et de la fausse grandeur ? Aussi le poète a-t-il été l’interprète du genre humain en écrivant ces vers charmans que tout le monde sait par cœur :

Ni l’or ni la grandeur ne nous rendent heureux.
Ces deux divinités n’accordent à nos vœux