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avoir dans cet incident de sujet de guerre. En épousant si chaudement cette querelle, les Anglais nous servent plus qu’ils ne croient auprès des puissances continentales. On prend plaisir à les laisser aller en avant, à ne les pas suivre et à les laisser tout seuls. Telle est l’attitude de l’Europe, si nous osons employer une expression aussi sénile que la chose à laquelle on l’applique. M. de Maistre, qui croyait avoir vu l’Europe, annonçait déjà son évanouissement ; on eût bien pu lui poser la question qu’il adressait aux philosophes qui invoquaient la nature : — L’Europe, quelle est cette femme ? L’expression géographique survit ; mais cette abstraction, cet être de raison qu’on appelle l’Europe a disparu. Ce n’est pas nous qui le regretterons, car ce que l’on appelait l’Europe n’a jamais été que la coalition contre la France. L’histoire contemporaine n’est plus, à vrai dire, qu’un duo entre la France et l’Angleterre. Trois grandes puissances végètent encore sur notre continent ; dépourvues de ces deux élémens qui se complètent ou, au besoin se suppléent, de fortes institutions ou de grands hommes, elles prennent un plaisir de vieillard à agacer l’une contre l’autre la France et l’Angleterre. Elles se frottent les mains, si la France, par quelque entreprise ou quelque acquisition, semble à leur idée menacer l’équilibre ; elles rient sous cape, si l’Angleterre, prenant de l’humeur contre nous, s’aperçoit avec chagrin qu’elle est seule et sans armée. De petits dépits, de petites rancunes ; de petits hommes et une grande impuissance, voilà ce que sont ces gouvernemens, qu’il faut par courtoisie continuer d’appeler de grandes puissances, voilà l’Europe. La France et l’Angleterre, quand elles veulent faire des choses vivantes, n’ont guère besoin de prendre garde à ce qu’on pense où à ce qu’on dit dans ce coin-là.

L’Italie sera-t-elle une de ces choses vivantes, un de ces rajeunissemens dont la vieille civilisation a si grand besoin ? Nous l’espérons vivement, quoique plus froidement peut-être que notre ami M. Charles de Mazade, qui a consacré à l’Italie tant de beaux travaux, connus et goûtés par les lecteurs de la Revue. Sous ce titre : l’Italie moderne, récit des Guerres et des Révolutions italiennes, M. de Mazade a composé un volume qui ne pouvait arriver plus à propos. Tout présage en effet qu’il y aura un temps d’arrêt pour l’Italie dans la constitution nouvelle où elle va se condenser. Une période d’efforts et de luttes, celle qui a précédé la guerre, est en train de s’achever. Personne n’avait étudié avec une attention plus sympathique, plus de clairvoyance et en quelque sorte de divination prophétique, cette période militante de l’histoire contemporaine de l’Italie ; personne non plus n’avait combattu avec une conviction plus chaleureuse les doutes ironiques que l’on a si généralement et si longtemps parmi nous opposés aux aspirations italiennes. L’ouvrage de M. de Mazade reproduit ces controverses élevées et l’histoire de cette époque militante entre deux belles études consacrées aux deux souverains italiens qui, pourrait-on dire, représentent le bon et le mauvais génie de la péninsule, le roi Charles-Albert et le dernier roi de Naples, Ferdinand II. Ce n’est pas à nous de vanter le charme littéraire