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remonte aux causes, l’histoire, écho de l’opinion, n’admire que les effets : l’honneur est pour la main qui moissonne, l’oubli pour la main qui a semé. Ce fut Cimon pourtant qui développa chez les Athéniens le goût des arts et des dépenses magnifiques. Ce fut lui qui le premier orna la ville, à peine relevée de ses ruines, de monumens et de chefs-d’œuvre. Les Longs-Murs, le temple de Thésée, le Pœcile, le Gymnase, le jardin de l’Académie, le mur méridional de l’Acropole, le temple de la Victoire sans ailes, annoncent dignement les Propylées et le Parthénon. Phidias, Panaenus, Micon, Polygnote, sculpteurs, peintres et architectes, rivalisent d’efforts pour conduire l’art à sa perfection et former cette élite d’ouvriers et d’artistes que Périclès trouva tout prêts à seconder ses desseins. Cimon ne se contenta point d’encourager les talens que produisait Athènes : il appela des maîtres étrangers. Thasos vaincue lui valut une plus précieuse conquête, celle de Polygnote, qu’il ramena avec lui, et dont il fit son ami. Il souffrit même qu’il fût l’amant de sa sœur Elpinice, lui chef du parti aristocratique, lui fils et petit-fils de rois.

Cimon paya les œuvres et les artistes avec les dépouilles de l’Asie. Quand l’or des Perses fut épuisé, il soutint le luxe public de ses propres richesses, qui étaient immenses, et qu’il consacrait depuis longtemps aux besoins des particuliers. Ame grande et généreuse, Cimon était cher au peuple par ses bienfaits plus encore que par ses victoires : Son pouvoir dépendait de la faveur de la multitude : s’il eut le tort de l’acheter, ce fut en sacrifiant sa fortune et non sa dignité. Il tomba, renversé par le parti démocratique et par les intrigues de Périclès ; mais l’exil lui réservait la gloire la plus rare, en montrant au monde combien il était aimé. Le fait mérite d’être raconté, car il est inouï dans l’histoire. Pour faire bannir Cimon, on l’avait accusé d’être vendu aux Lacédémoniens. Quelques années s’écoulèrent. Un jour, les Athéniens et les Lacédémoniens se rencontrèrent dans les plaines de Tanagre. Cimon accourut de l’exil, demandant à combattre dans les rangs de sa tribu et à laver les soupçons dans le sang de l’ennemi. Les généraux athéniens le repoussèrent. Alors Cimon pria ses amis de faire leur devoir de telle sorte que la calomnié fût réduite au silence. Ceux-ci, au nombre de cent, placèrent au milieu d’eux l’armure complète de Cimon, et, serrés autour de ce fantôme guerrier, ils se firent tuer jusqu’au dernier. Qui doit-on admirer le plus, ceux qui sont capables d’un tel dévouement, ou celui qui l’inspire ?

Si l’amour du beau est le privilège des nobles natures, personne n’était plus digne que Cimon d’être le protecteur des arts. Sa munificence, son affabilité, son goût, son exemple (car lui-même cultivait