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s’étonner de trouver à chaque pas un nouveau trophée. Il avait déjà remarqué à Athènes même combien la victoire de Marathon avait inspiré de vanité aux Athéniens. À Delphes, au moment où il aperçoit des trophées plus nombreux et plus magnifiques que jamais, il s’arrête, et se tournant vers l’exégète, c’est-à-dire vers le cicérone qui le conduit, il lui demande si véritablement tant de statues sont le produit de la dîme du butin. Un exégète ne connaît pas les scrupules ; comment douterait-il d’un fait qu’il a raconté tant de fois ? Après donc que sa réponse a raffermi la foi chancelante de Pausanias, celui-ci n’hésite plus, et il nous répète que ces statues sont bien réellement la dîme du butin. Seulement il ne nous fera point partager sa conviction.

Est-on tenté de la partager, l’histoire et la logique des faits s’y opposent, et donnent un démenti éclatant aux Athéniens. Qui ne croirait, en effet, qu’on s’est empressé, aussitôt après le triomphe, quand la joie était si vive, quand la ville regorgeait de prétendues dépouilles, de consacrer tous les chefs-d’œuvre qui devaient immortaliser la victoire ? Dix ans s’écoulèrent sans qu’on y songeât : rien n’était fait à l’époque de l’invasion de Xerxès, car Platées fut livrée aux flammes, et l’on ne supposera pas que les Perses eussent épargné précisément le colosse en bois doré de Phidias, monument de leur honte. Athènes ne fut pas seulement incendiée : Mardonius acheva d’anéantir une ville que Xerxès n’avait fait que renverser. Il rasa les fortifications, les maisons, les temples, ne laissa pas pierre sur pierre. Était-ce pour respecter la Minerve de Phidias et les édifices qui rappelaient sa première défaite ? Ainsi pendant dix années on conserva caché ce prétendu trésor, on l’emporta sur la flotte à l’approche de Xerxès, on le rapporta quand les barbares furent partis ; on n’osa y puiser au milieu de la misère publique, lorsqu’une ville tout entière n’était plus que débris et que cendres ?

Il est inutile de multiplier les réflexions sur ce sujet. Toutes conduisent à la même conclusion : le butin de Marathon était une fiction, quelque belle que fût la victoire elle-même, quelque grands qu’en fussent les résultats. Athènes, maîtresse de la moitié de la Grèce, en rivalité avec l’autre, se plut à reproduire l’image d’un triomphe qu’elle n’avait partagé avec personne. Heureuse d’humilier les autres peuples autant que de s’exalter elle-même, elle leur rappelait sans cesse que, seule (c’était vrai), elle s’était jetée au-devant d’une première invasion, et que les Spartiates, ses ennemis irréconciliables, n’étaient arrivés que pour contempler le champ de bataille et compter les morts. Quels sacrifices pouvaient payer une si douce satisfaction ? Mais ces sacrifices, du moins fallait-il être en état de les faire, et l’on ne voit pas que les Athéniens aient pu disposer de