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qui n’empêchait pas les Romains d’accueillir avec un mépris incrédule les récits des Grecs leurs aînés.

La guerre des Perses est, je le crains, une des pages les moins fidèles de l’histoire ancienne : les vainqueurs seuls l’ont racontée, et leur enivrement ne leur permettait que d’être poètes ; mais aucune ville ne fit retentir sa gloire aussi haut qu’Athènes, aucune n’éleva autant de trophées, aucune n’exalta son héroïsme avec plus d’insolence. Bientôt elle dédaigna Salamine et Platées, dont elle partageait l’honneur avec le reste de la Grèce ; elle ne voulut se souvenir que de Marathon, où seule elle avait triomphé. Mais quel souvenir ! Combien de monumens, d’offrandes, de sculptures, de peintures, de panégyriques, de déclamations de toute sorte ! Quelle importunité odieuse avec des peuples de même race, ridicule avec des étrangers ! N’était-ce pas en effet un bien triste spectacle que des Athéniens venant pompeusement réciter à Sylla l’éternel éloge de Marathon, au moment où les soldats romains prenaient et saccageaient leur ville ?

Si la postérité ne doit pas se montrer trop sévère pour cette faiblesse du plus aimable des peuples, elle a trop longtemps pris au sérieux les inépuisables trésors conquis à Marathon. Par une conséquence naturelle, on a placé au lendemain de la bataille toutes les œuvres d’art que payait la dîme du butin. Comme Phidias en exécuta une partie, l’embarras des critiques modernes était grand : il fallait expliquer comment un artiste déjà célèbre au temps des guerres médiques n’arrive que cinquante ans plus tard à la période la plus féconde de sa carrière ; il fallait concilier une extrême vieillesse avec d’immenses entreprises. Ottfried Müller le premier a démêlé avec une rare clairvoyance le nœud de la question. Au lieu de retourner en vain les difficultés sous toutes leurs faces, il est remonté à la source, se demandant si ces fameuses dépouilles ramassées dans les champs de Marathon n’étaient pas une fable, si la vanité des Athéniens n’avait pas élevé après coup et multiplié à plaisir des trophées mensongers.

Plutarque, il est vrai, raconte qu’après la bataille Aristide fut chargé avec sa tribu de veiller sur le butin. Il ne fallait rien moins que sa réputation d’intégrité pour qu’on lui confiât une garde aussi délicate, car il y avait des monceaux d’or et d’argent, des vêtemens de toute espèce, mille objets précieux dans les vaisseaux et les tentes. Plutarque ne fait que répéter la tradition athénienne, et il l’accueille d’autant plus facilement qu’elle consacre la vertu de son héros. Hérodote au contraire, le grand historien des guerres médiques, ne fait pas mention de ces richesses. Il rend parfaitement justice au courage des Athéniens, qui, les premiers, osèrent affronter les barbares et opposer leur petite armée à une invasion formidable ;