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leurs manœuvres et allaient les inquiéter jusque dans leur camp. Jour et nuit, ils veillaient à la garde de la ville, dont les rues étaient éclairées par des torches et des lanternes qu’on allumait aux fenêtres des maisons de peur des surprises.

Le duc de Bourbon, malgré son peu de progrès devant Marseille, qu’il n’avait pu ni intimider ni forcer, ne se découragea point ; mais la confiance qu’il avait d’abord inspirée autour de lui commençait à fléchir, et les chefs de ses troupes doutaient beaucoup de la reddition ou de la prise d’une ville qui opposait une résistance aussi opiniâtre. Bourbon, dans l’orgueilleuse opinion où il était de son irrésistible ascendant, avait annoncé que Marseille ne tarderait pas à lui ouvrir ses portes, ainsi que l’avaient fait les autres villes de Provence. Pescara le lui rappela avec un ironique à-propos. Le 10 du mois de septembre, vingt-deux jours depuis l’ouverture du siège, un coup de canon tiré de la tour de l’Horloge tua, non loin de lui, dans le quartier de Saint-Lazare un prêtre qui disait la messe et deux gentilshommes. Au mouvement qui se fit, Bourbon, alors dans le voisinage, s’approcha de Pescara et lui demanda ce que signifiait ce bruit. « Sans doute, répondit l’Espagnol en raillant, ce sont les consuls de Marseille qui vous apportent les clefs de la ville[1]. »

Le duc ne s’opiniâtra pas moins à s’en rendre maître. Il la serra de plus près. Il avait reçu pour la solde de son armée cent mille ducats que lui avait apportés sir John Russell de la part d’Henri VIII. Il fut rejoint par une partie des troupes qu’il avait laissées en Piémont. Trois fortes pièces d’artillerie et six canons moyens lui furent amenés, avec une grande quantité de munitions, de la tour de Toulon, qu’avaient prise le 2 septembre Beaurain et Ugo de Moncada. Les nouvelles le plus impatiemment attendues lui arrivèrent coup sur coup d’Espagne et d’Angleterre, et l’entretinrent dans toutes ses espérances. L’empereur lui avait envoyé le comte de Montfort pour lui annoncer la venue prochaine de l’armée de Catalogne, à laquelle il avait prescrit d’entrer en France, et Gregorio Casale, revenu de Londres, lui donna, au nom de Henri VIII et de Wolsey, l’assurance que les troupes anglaises étaient prêtes à descendre en Picardie[2]. Bourbon avait déjà dépêché deux jours auparavant vers l’empereur le capitaine Loquinghan[3], en le conjurant de hâter la marche du corps auxiliaire, sans lequel il ne pouvait rien entreprendre de décisif, et de fortifier sa flotte pour la rendre, maîtresse

  1. Journal du Siège de Marseille, par Valbelle, à la date du 10 septembre.
  2. « Monseigneur…, est venu le chevalier Grégoire, qui a aporté nouvelles que les Anglois sont près à dessandre ayant su mon vouloir ; aussy je despesche aujourd’huy homme exprès pour suplyer le roy d’Angleterre de faire dessandre son armée, etc.. » Lettre du duc de Bourbon à Charles-Quint, du 15 septembre. — Archives imp. et roy. de Vienne.
  3. Lettres du même au même des 13 et 14 septembre.