Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/367

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sans l’arrivée des Prussiens, Ney ajoutait à ses titres celui de prince de Waterloo, donné par les hommes intrépides qu’il entraîna dans sa course foudroyante.

La Crimée nous offre sur l’emploi de la cavalerie régulière des pages plus instructives encore, et ce que j’ai dit de l’utilité d’un commandement spécial pour cette arme toute spéciale elle-même s’est trouvé plus d’une fois confirmé par les glorieux épisodes de notre dernière guerre d’Orient. J’en citerai trois : Balaclava, le combat du 31 décembre 1854, Koughil. Ce sont des noms et des dates que les hussards et les dragons de France n’oublieront certes pas.

Apres le licenciement des bachi-bozouks, j’avais obtenu l’honneur de combattre dans les rangs du 1er régiment de chasseurs d’Afrique. À la bataille de l’Alma, notre cavalerie n’avait point encore paru en Crimée ; c’est avec ce noble régiment qu’elle y fit son entrée. Le 25 octobre 1854 avait lieu le combat de Balaclava, auquel j’assistai. Je ne puis malheureusement raconter ici que ce que j’ai vu ; je donne des impressions de soldat, et non des appréciations d’historien, Il sera aisé pourtant de dégager de ce bref récit deux faits essentiels : le désastre causé par une charge de cavalerie dont un chef spécial n’avait pas eu l’initiative, puis l’honorable intervention de la cavalerie française après la faute commise.

Nous étions en bataille depuis le matin, sur une petite éminence voisine des hauteurs de Balaclava. La plaine de Balaclava s’étendait à nos pieds. Sur notre droite, vers dix heures, des fumées blanchâtres signalaient les obus russes qui éclataient ; peu après, à la distance où j’étais placé, je vis de grands points noirs qui avaient l’air de courir et de descendre des petits mamelons où étaient des forts turcs : c’étaient les troupes ottomanes, qui, chassées par les Russes, fuyaient éperdues dans la plaine. Elles étaient suivies par une masse de cavalerie russe qui, fusillée par les highlanders, se rabattit sur les dragons anglais, sous les ordres du vieux général Scarlett ; mais, repoussée avec perte, elle regagna les hauteurs, où elle aurait pu être anéantie, si la cavalerie légère anglaise, sous les ordres de lord Cardigan, profitant de la fortune, l’eût chargée pendant sa retraite. Là était l’occasion, là devait s’exercer l’initiative du général de cavalerie, et plus tard on put reconnaître que la bravoure ne remplace pas l’initiative. Un instant après, toute la cavalerie anglaise occupait les crêtes où passe la route Voronzof. Elle y reçut l’ordre écrit de charger l’ennemi ; mais cet ennemi avait disparu : on n’apercevait plus que quelques batteries dans le fond de la plaine, et des masses d’infanterie couronnant les hauteurs de Tediouchine, où se trouvaient également deux batteries d’artillerie. Quant à la cavalerie russe de Liprandi, — 5 ou 6,000 chevaux, — elle s’était