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causer avec Ladislas, et notre ami m’a tourné la tête. Donc, vive la Hongrie ! nous allons reconquérir la couronne de saint Etienne ! Si, dans cette absence que nous nous sommes imposée, je restais libre, tout serait perdu, je reviendrai ; si une forte obligation, si un devoir ne s’interposent pas entre vous et moi, ma volonté faillira, mon courage déjà ébranlé m’abandonnera tout à fait, et j’accourrai près de vous, coûte que coûte, et aux risques de votre cher repos. Et puis, vous le dirai-je ? le sentiment qui me pousse n’est peut-être pas bon ; mais vous le comprendrez, vous qui comprenez tout. Je ne veux pas que vous vous disiez avec quiétude : Il voyage, il voit de belles choses, il est heureux peut-être. Je ne veux pas que vous vous accoutumiez à mon absence, je ne veux pas, égoïste que je suis, que mon nom cesse de vous troubler. Quand vous saurez que je cours des dangers, que je couche sur la terre nue, cherchant des yeux les étoiles que vous pouvez apercevoir ; quand vous saurez que mon sort est mêlé à celui des armées qui se heurtent sur les rives du Danube, alors vous penserez à moi, vous prierez pour moi ; mon souvenir, ravivé par l’inquiétude, ne vous laissera pas en repos ; je saurai que vous me regrettez, que peut-être vous vous repentez de m’avoir fait partir, et que la nuit, en entendant sonner les heures de votre vie solitaire, vous vous direz : Où est-il ? et que vous ajouterez peut-être : Pourquoi n’est-il pas là ? Ne vous inquiétez pas trop cependant ; quand un homme porte en lui la passion que je sens en moi, il est sacré pour Dieu, et nul péril ne peut l’atteindre. Ladislas prétend que je ferai un bon soldat, il s’y connaît, et vous pouvez l’en croire. Je réponds de vous, m’a-t-il dit ; j’ai eu confiance en lui. Moi je vous dirai : Ayez confiance en nous ! »

Par le courrier qui apportait cette lettre à Pauline, Mme  d’Alfarey en reçut une qui lui annonçait la résolution de son fils ; elle courut chez Pauline, qu’elle trouva baignée de larmes et en proie à un vrai désespoir.

— Hélas ! lui dit la mère de George, pourquoi n’avez-vous pas empêché son départ ?

II.

Quand Ladislas et George eurent traversé le Danube vers le milieu du mois de mai, on pouvait appliquer à la Hongrie le mot que M. Michelet a dit sur elle au Collège de France : « La Hongrie espère contre l’espérance ! » En effet, tout semblait déjà bien près d’être perdu dans cette grande cause que d’immenses armées purent seules réduire au silence et à l’ajournement. Nous n’avons pas à raconter ici les péripéties de cette lutte gigantesque, dont chaque détail a