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toute son estime ; nul plus que lui n’eût été surpris, si elle eût commis une faute. Si elle avait eu un amant, il en eût souffert par vanité ; mais par vanité aussi il n’en eût rien laissé paraître et s’en serait accommodé, car il pensait qu’un homme qui se respecte ne doit point se scandaliser de ces sortes de choses et aller les crier par-dessus les maisons.

M. de Chavry, tout gracieux et tout attentif qu’il fût pour sa femme, n’était donc point l’homme qui devait ouvrir à Pauline les beaux horizons que ses rêveries de jeune fille avaient entrevus. Elle ne tarda point à reconnaître que cette grande aptitude pour les affaires cachait une nullité dupe d’elle-même ; sous les dehors d’une amabilité empressée, elle découvrit promptement une nature mobile à l’excès, et si elle eut à M. de Chavry quelque reconnaissance de mener une vie extérieurement à l’abri de reproches graves, elle ne lui pardonna guère le vide énorme où il la laissait s’agiter sans point d’appui entre les besoins d’aimer, qui, restant inassouvis en elle, criaient souvent plus haut qu’elle n’aurait voulu, et la voix du devoir, dont les impérieuses exhortations la poussaient sur les durs chemins du sacrifice et de l’abnégation. Elle n’hésita point, et après bien des combats secrets dont elle fut, si j’ose le dire, le théâtre et l’acteur, elle fit ce qu’il y a de plus difficile à faire dans la vie, elle prit son parti. — Puisqu’il ne m’a pas été donné d’être l’épouse que j’aurais voulu être, se dit-elle, je serai mère, rien de plus, mais rien de moins… Décision fort belle assurément, mais qui la laissait aux prises avec des troubles qu’elle ne dominait qu’à force d’énergie et de volonté, car, hélas ! il faut bien le dire, le sentiment maternel, quelque puissant qu’il soit, n’a jamais chez la mère fermé le cœur de la femme, être d’expansion illimitée, qui a besoin, pour vivre en équilibre avec elle-même, de répandre les sentimens multiples qui se renouvellent incessamment en elle, sans jamais s’affaiblir. Aussi, malgré sa résolution prise et malgré les soins assidus dont elle entourait son fils, Pauline avait ses heures de défaillance et de révolte. Parfois, dans ces courts instans de doute, son mari paraissait s’inquiéter de la voir quitter tout à coup son ouvrage et rester, la tête appuyée sur la main, immobile et les yeux perdus dans une sorte de lointaine contemplation. Il comprenait vaguement que sa femme n’avait point tout ce qu’elle désirait ; il craignait par-dessus tout qu’elle ne s’ennuyât, car l’expérience lui avait appris que l’ennui est mortel à la paix domestique. Il lui proposait alors, que sais-je ? d’aller dans le monde, à l’Opéra, au bois de Boulogne, d’acheter une maison de campagne et d’y vivre quelques mois de l’année. Pauline lui prenait la main, le remerciait de sa bonté, souriait intérieurement de cet empirisme conjugal, et il s’en allait, ne comprenant