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et de tous les diplomates assemblés à Cherasco. Il devina quel redoutable adversaire la politique espagnole allait trouver dans ce secrétaire de légation, qui gouvernait déjà par-dessus la tête de son propre ministre, enlevait à l’Espagne son plus ancien allié, le duc de Savoie, et le donnait à la France. Il disait hautement qu’il fallait l’acquérir ou s’en défaire. Il essaya de l’attirer au service de sa cour par les offres les plus brillantes, celle même de l’ambassade de Vienne[1], lui montrant quelle fortune l’attendait dans une pareille carrière, au lieu des minces avantages qu’il se pouvait promettre du saint-siège. Mazarin avait l’âme encore trop pleine de la mort de Spinola et des dernières imprécations du vieux capitaine contre l’ingratitude de l’Espagne : au fond du cœur, il avait fait son choix entre Olivarès et Richelieu ; il s’excusa donc auprès du duc de Feria en alléguant ses devoirs envers Urbain VIII. Depuis ce moment, l’Espagne conjura sa perte. En voici une preuve aussi comique que significative. Mazarin, étant un jour allé faire visite au gouverneur de Milan et attendant un moment dans l’antichambre, y vit tout à coup paraître un fils du duc, tout jeune encore, avec sa petite épée à la main ; il lui demanda en riant ce qu’il en prétendait faire. — « Tuer Mazarin, qui trahit le roi, » répondit l’enfant, répétant évidemment ce qu’il entendait dire autour de lui[2].

À la fin de l’année 1632, Mazarin revint à Rome avec le nonce Pancirole. Il y fut reçu encore mieux qu’après l’affaire de Casal. Ce n’était plus le jeune homme obscur que nous avons essayé de peindre, pauvre, cherchant sa route, brûlant de se faire connaître par des services de toute sorte ; c’était un diplomate déjà célèbre, estimé des premiers hommes d’état de l’Italie et de l’Europe. Il avait passé la saison des plaisirs et le printemps de la vie ; il entrait dans l’âge de la virile ambition et des grandes affaires : il avait trente ans accomplis. Une carrière immense était devant lui. Peut-être l’y suivrons-nous ; peut-être un jour, ici même, nous le ferons voir embrassant la prélature, franchissant en peu d’années les emplois les plus importans, puis, arrivé devant le cardinalat, rencontrant un obstacle qu’il désespère de vaincre, mais, incapable de s’arrêter et impatient de monter toujours, quittant Rome, passant au service de France, et là déployant librement ses ailes, conquérant de Paris la pourpre romaine, et de degré en degré s’élevant jusqu’à l’héritage de Richelieu.


VICTOR COUSIN.

  1. Benedetti, p. 38.
  2. Benedetti, ibid. : « Para matar Massarin, qui es traydor del rey. »