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indépendance, le pape, s’était empressé de favoriser un dessein qui lui permettait de tenir en respect l’Autriche et l’Espagne en leur montrant une armée française au pied des Alpes. On dit même que c’est lui qui, se faisant l’interprète de tous les princes italiens, en suggéra l’idée à la France[1], du moins il est certain qu’il l’appuya de toutes ses forces ; mais une pareille affaire exigeait un profond secret devant les conférences ordinaires qui se tenaient à Cherasco. Urbain VIII ne s’ouvrit pas même à son neveu, le cardinal secrétaire d’état François Barberini, qu’il savait assez favorable aux Espagnols, et il ne voulut d’autres confidens que l’ambassadeur français à Rome, le comte de Béthune, et Mazarin en Piémont. Celui-ci se trouva donc seul chargé de cette négociation délicate à l’insu même du nonce Pancirole. Heureusement il avait pris sur Victor-Amédée un véritable ascendant par les services qu’il lui avait rendus et par les utiles conseils qu’il n’avait pas cessé de lui donner. Il s’efforça de lui faire comprendre que son premier intérêt était de rentrer en possession de ses états, que ce qu’il cédait était peu de chose, et que l’avenir le lui rendrait infailliblement, si, par une conduite loyale, plus habile que tous les artifices, il s’appliquait à resserrer les liens qui l’unissaient à Louis XIII et à gagner la confiance de Richelieu. La France ne songeait à faire aucune conquête en Italie. Dans sa lutte avec l’Espagne, elle entendait bien diminuer, autant qu’il serait en elle, la puissance espagnole dans la péninsule, et elle ne demandait pas mieux que de favoriser l’agrandissement du Piémont aux dépens du Milanais, pourvu qu’elle pût compter sur la fidélité du duc de Savoie. L’acquisition de Pignerol n’était qu’une mesure de précaution ; il lui appartenait de la rendre bientôt inutile. Victor-Amédéé embrassait avec ardeur toutes les espérances d’agrandissement, mais il ne pouvait se résigner au léger sacrifice qu’on lui demandait, et il tâchait de l’éluder en faisant à son tour les demandes les moins raisonnables. Chose inouïe, il voulait que le roi de France s’emparât pour lui de la ville de Genève et la lui donnât en échange de Pignerol. Le chef de la catholicité agréait fort une semblable compensation, et il envoya son jeune ministre en France pour la soutenir de toute son éloquence. Mazarin se rendit donc à Paris en janvier 1631[2]. Au premier mot de la bizarre

  1. Benedetti, p. 39, attribue au pape Urbain VIII la première idée de la cession de Pignerol, et Brusoni, p. 107, dit la même chose, en ajoutant que tous les princes de la Haute-Italie entrèrent dans les intentions du pape.
  2. Benedetti, p. 40 et 41 ; Brusoni, p. 148 ; Richelieu, mémoires, t. VII, p. 230-231.— Ce voyage de Mazarin est certainement des premiers jours de l’année 1631, et il a dû être fort court. En effet, d’une part nous avons sous les yeux une lettre de Mazarin à Victor-Amédée Ier, datée d’Aiguebelle près de Saint-Jean-de-Maurienne, du 11 janvier 1631, quelques jours après son départ de Turin lettre tirée pour nous des archives de la cour à Turin, grâce à l’obligeance du garde de ces archives, M. Castelli, et d’autre part Mazarin a dû revenir assez vite pour achever auprès de Victor-Amédée la négociation secrète, laquelle fut signée le 31 mars de cette même année, ainsi que pour prendre part aux conférences de Cherasco.