Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/271

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que le complice de Spinola, que le Génois pouvait bien être un plus grand capitaine, mais non pas un plus grand politique. Mazarin, après avoir gardé un silence respectueux, tenta, mais en vain, de se justifier ; sans l’écouter, Richelieu s’écria que sa trahison ou son erreur méritait un sévère châtiment, et qu’à défaut du pape, le roi de France saurait bien tirer une juste vengeance de l’injure qu’il avait reçue. À ces mots, interrompant le cardinal, Mazarin lui dit d’un ton ferme et résolu que, s’il s’était laissé traiter de cette sorte, ce n’était pas par peur, mais à cause du respect qu’il portait au ministre d’un grand roi, qu’il ne devait pas souffrir plus longtemps qu’on manquât à ce point d’égards à un ministre du pape, qu’il déclarait donc qu’il n’avait de compte à rendre de ses actions qu’à sa sainteté, que c’était d’elle qu’il attendait ou le châtiment ou la récompense qu’il méritait, et qu’il n’avait pas la moindre crainte des menaces qu’on lui faisait. Et il prononça ces dernières paroles avec une si fière attitude que Richelieu, prétendant qu’il insultait la majesté royale, entra dans un accès de fureur, se leva de son siège, qu’il renversa, jeta à terre son bonnet rouge, et se mit à marcher à grands pas dans la chambre, exhalant la passion qui l’agitait. Peu à peu il se calma, et prit conseil de sa prudence ; il reconnut qu’il avait besoin du nouveau duc de Savoie pour se porter médiateur entre les Espagnols et la France et par là sauver Casal, et qu’il n’y avait personne qui eût autant de crédit sur le jeune duc que Mazarin ; il s’adoucit, et, tout à coup changeant de ton, il dit au cardinal de Bagni : « Vous pourriez avec raison m’accuser d’être enclin à la colère, et M. Mazarin pourrait avoir contre moi un très juste ressentiment. » Là-dessus il le pria de l’excuser, lui dit qu’il arrivait souvent de pareils débats entre les meilleurs amis, et que de telles épreuves affermissaient l’amitié. Il caressa de son mieux celui qu’il venait d’offenser ; il le conjura de reprendre ses négociations et de retarder la prise de Casal de quinze ou vingt jours par tous les moyens qu’il pourrait imaginer, que lui, pendant ce temps, ferait un dernier effort pour ranimer l’armée française et la mettre en état de s’avancer dans le Montferrat. Il l’assura qu’il ne pouvait rendre un service plus signalé au pape, au roi de France, à l’Italie et à lui-même. Comme Mazarin avait du pape la même commission, il promit volontiers son concours à Richelieu pour le bon succès d’une affaire dans laquelle, en remplissant son devoir envers son maître le saint-père, il trouvait l’avantage de servir aussi la France et d’acquérir une grande renommée. »

Qu’y a-t-il de vrai dans ce récit ? Il est peut-être exagéré, mais il n’est point invraisemblable : il est dans la situation des personnages comme aussi dans leur caractère. On se doute bien que Richelieu, dans ses mémoires, ne dit pas un mot de cette scène, car les auteurs