Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/266

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dévorer l’avenir de son pays et de sa famille en voulant trop devancer les temps, qui forma trop d’entreprises à la fois, et eut surtout le malheur de rencontrer en France deux hommes fort au-dessus de lui, Henri IV et Richelieu, qui n’étaient pas d’humeur à sacrifier l’intérêt français aux rêves ambitieux d’un étranger. Il laissait le Piémont envahi de toutes parts, presque réduit à la ville et à la citadelle de Turin, épuisé d’hommes et d’argent et dans un abîme de misères ; mais son successeur Victor-Amédée avait épousé une fille d’Henri IV, et la France, qui avait justement châtié le père, n’hésita pas à relever la couronne du fils, et, comme peut-être nous le montrerons un jour, ce fut ce même Mazarin, devenu ambassadeur de Louis XIII, qui, après avoir autrefois tenté en vain d’éclairer et de sauver Charles-Emmanuel Ier, protégea l’enfance de Charles-Emmanuel II et arracha le Piémont à la guerre civile et à l’invasion espagnole.

On se peut figurer avec quelle joie Louis XIII apprit à Saint-Jean-de-Maurienne la victoire de Veillane ; mais cette joie fut bientôt dissipée par la nouvelle d’un désastre inattendu. Nous avons déjà dit avec quelle mollesse Charles de Gonzague se défendait à Mantoue : il n’avait d’autres troupes que celles de ses alliés les Vénitiens, et ces troupes, mal payées, mal commandées, lui rendaient fort peu de services ; elles n’osaient pas regarder en face les vieux régimens allemands de l’empire, et tenaient à peine derrière des murailles. Il n’y avait de courage et d’énergie que dans cette poignée de gentilshommes français qui étaient venus se mettre au service d’une cause protégée par la France : c’étaient le duc de Candale, le fils aîné du duc d’Épernon, son frère naturel le chevalier de La Vallette, le comte de Guiche, depuis le maréchal de Grammont, Arnauld, le fameux colonel des carabins, et quelques autres[1]. Ils se conduisaient à merveille ; on les admirait beaucoup, on ne les imitait pas. Le maréchal d’Estrées parvenait bien à arracher d’assez vigoureuses résolutions au conseil de Venise ; mais ces résolutions ne s’exécutaient point faute d’officiers et de soldats qui voulussent se battre. Dès que les impériaux paraissaient, on assemblait un conseil dont la conclusion était toujours : il faut nous retirer, comme cela se passa à Goïto. On y avait pris de mauvais postes, que Gallas força en quelques heures. Les Français du duc de Candale et du chevalier de La Vallette firent seuls quelque résistance ; les troupes vénitiennes s’enfuirent à la première charge des Autrichiens. Le soir, Sagredo, le général de Venise, tint conseil pour savoir ce qu’on ferait le lendemain. Le général de la cavalerie, qui

  1. Voyez les mémoires du maréchal d’Estrées, Paris, 1668.