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liaient tant que l’Autriche ne reconnaîtrait pas la vertu résolutoire des éventualités et des conditions auxquelles ils étaient subordonnés. Nous avions donc besoin de la tolérance et de la résignation de l’Autriche pour sortir doucement des liens de Villafranca et pouvoir consentir aux arrangemens réclamés par la situation de l’Italie. Or le cabinet de Vienne est connu pour ne se point plier aux compromis entre le droit et le fait. Viendrait-il, au nom du droit héréditaire et du droit des traités, se briser violemment encore une fois contre les nécessités pratiques ? ou, se confinant dans la plus haute tour du château enchanté de la légitimité, consentirait-il à n’adorer qu’en rêve l’antique objet de son culte, et à nous abandonner le champ de l’action ? Il fallait que le ministère anglais eût la majorité et vécût, il fallait que l’Autriche se résignât à l’immobilité pour elle et au laisser-faire pour les autres. Le ministère anglais vit, et la cour de Vienne se résigne. Voilà ce qui déblaie du terrain devant nous. Pour la première fois depuis huit mois, une perspective sérieuse d’arrangement s’ouvre sur les affaires d’Italie. Cette occasion d’agir, cette faculté de marcher, qui sont enfin offertes, doivent évidemment être mises à profit. Le moment est décisif, il n’y a pas de temps à perdre. Que doit faire la France vis-à-vis de l’Italie, et que doivent faire les Italiens pour eux-mêmes ? Voilà la question dominante et urgente de l’heure actuelle.

Avant de répondre à cette pressante interrogation, il n’est peut-être pas mutile de jeter un coup d’œil sur le blue-book où lord John Russell a réuni, pour la présenter au parlement, la correspondance diplomatique relative aux affaires d’Italie depuis la signature des préliminaires de Villafranca jusqu’à l’ajournement du congrès. Nous avons ouvert ce volume avec une grande curiosité : ce que nous y cherchions surtout, c’était l’explication du changement qui, à la fin de décembre, s’était ostensiblement accompli dans la politique de la France. Nous espérions trouver dans les correspondances diplomatiques quelques indications sur la transition par laquelle la politique de Villafranca a dû passer pour s’effacer progressivement et subir une transformation radicale. Notre attente sur ce point, comme nous l’expliquerons tout à l’heure, a été déçue. Le blue-book contient néanmoins des informations intéressantes. Les lumières qu’il répand sur les positions prises par l’Angleterre, l’Autriche, la Russie et la Prusse, doivent nous éclairer sur la politique que peuvent suivre, même dans la phase actuelle, ces diverses puissances. Il y a là d’utiles données à recueillir au passage.

Il faut l’avouer, dans ce concours européen, le prix de la netteté des idées, de la suite des vues, de la consistance politique, appartient à l’Angleterre. Lord John Russell, avec cette tranquille hardiesse, avec cette netteté simple et naïve, avec cette opiniâtreté froide et tout à fait dépourvue de saillie et d’emphase, qui caractérisent les piquantes contradictions de sa nature, vit et signala dès le premier jour, et combattit jusqu’au bout les impossibilités de la politique de Villafranca. La dépêche qu’il écrivit à lord