Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/223

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Triptolême lui-même, instruit par Cérès et assisté par Proserpine. Je ne pense pas que cette explication puisse être contestée. C’est, dans le sens mystique et religieux, une scène d’initiation au culte des deux déesses, aux mystères éleusiniens ; dans le sens historique et réel, une leçon d’agriculture, la première instruction donnée par la divinité au premier laboureur de l’Attique. Et qu’on ne refuse pas de reconnaître Cérès parce qu’elle n’a ni faucille à la main, ni blonds épis dans les cheveux. Ces attributs matériels, ces sortes d’armes parlantes, n’appartiennent pas aux temps anciens. Ce sont des commentaires, des supplémens d’explication dont l’usage apparaît vers le premier déclin des croyances populaires. Cérès à Eleusis n’est d’abord qu’une reine, sorte de divinité terrestre, bienfaisante et habile à nourrir les humains. Elle est descendue du ciel avec son divin secret ; mais la douleur a troublé sa raison : sa fille lui a été ravie. Elle la cherche en tous lieux sur la terre, ne sachant pas le triste honneur que lui a fait le dieu dès morts. Quand elle a bien couru, accablée de fatigue, elle s’arrête en un champ, aux portes d’Eleusis, s’assied sur une pierre nommée depuis la triste pierre, au bord d’un puits, ce puits qu’a chanté Callimaque, et qu’on montrait encore au temps de Pausanias. Le roi qui règne à Eleusis prend en pitié cette mère éplorée, la recueille dans son palais, la comble de soins et d’honneurs. Alors commence une série de bienfaits et de bénédictions que Cérès, par reconnaissance, répand sur la famille de ce prince hospitalier. Elle devient pour son jeune fils Triptolême une mère, une institutrice ; elle lui enseigne son secret, l’art de cultiver le blé :

… Data semina jussit
Spargere humo[1].


Tel est, à l’origine, le mythe éleusinien. Un grain de blé fait le fond du mystère.

Eh bien ! c’est ce grain de blé que, sur le bas-relief, la déesse présente au jeune néophyte ; c’est pour le recevoir qu’il tend la main avec surprise et avec soumission. Le sujet n’est donc pas douteux ; il est clairement écrit, on ne peut s’y méprendre. Reste à voir comment il est traité.

Il y aurait toute une étude à faire sur le style de ce bas-relief. J’ai déjà dit qu’il n’est pas homogène ; quelques parties de la composition laissent voir un certain sentiment d’archaïsme. La disposition symétrique des deux figures de femmes, le costume de Cérès et surtout sa tunique aux longs plis droits et réguliers, le caractère un peu sévère de son visage et de sa coiffure, quelques détails moins

  1. Ovide, Métamorphoses, ch. V. XIX.