Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/194

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à peu près sans doute comme le coton. Pausanias, il est vrai, lui attribuait une origine animale ; mais le célèbre historien regardait encore, vers la fin du IIe siècle, les étoffes de soie comme tissées par une araignée sur laquelle il donne même quelques détails. Il faut remonter jusqu’au IVe siècle, et à saint Basile, pour trouver dans une phrase de ses Homélies des traces de notions exactes sur le ver à soie, ses métamorphoses et son industrie.

Ce fut encore une femme qui, la première, dit-on, parvint à enfreindre les lois de la Chine, et qui fit franchir au ver à soie et au mûrier la barrière élevée par l’intérêt. Vers l’an 140 avant notre ère, une princesse de la dynastie des Han, fiancée à un roi de Khotan, contrée située vers le centre de l’Asie, dans la Petite-Boukharie, apprit avec terreur qu’il n’y avait dans ce pays ni mûriers ni vers à soie. Plutôt que de renoncer à l’un et à l’autre, elle ne craignit pas d’exposer sa liberté ou sa vie. En partant pour aller joindre son époux, elle cacha des graines et des œufs sous son bonnet. Les gardes n’ayant pas osé déranger la coiffure d’un membre de la famille impériale, œufs et graines arrivèrent à bon port. Tous deux prospérèrent à souhait dans leur nouvelle patrie, et se répandirent peu à peu en tout sens. L’exemple des Chinois trouva des imitateurs. À mesure que la sériciculture s’introduisait par surprise ou autrement dans une nouvelle contrée, chaque souverain cherchait à s’assurer les bénéfices d’une possession exclusive, si bien qu’au VIe siècle cette industrie n’avait pas encore pénétré en Europe. À cette époque, en 552, deux religieux de l’ordre de Saint-Basile, plus courageux encore que la princesse chinoise, apportèrent à Constantinople et remirent à l’empereur Justinien les roseaux renfermant entre leurs nœuds les œufs de vers à soie et les graines de mûrier blanc qu’ils avaient apportés au péril de leur vie de Sérinde, cette capitale problématique de la Sérique des anciens.

La sériciculture prit un développement rapide en Grèce, et surtout dans l’ancien Péloponèse, à qui ses plantations nombreuses de mûriers valurent le nom moderne de Morée ; mais elle fut lente à se répandre dans le reste de l’Europe. Au VIIIe siècle, les Arabes la firent pénétrer en Espagne. Cependant ils n’apportèrent avec eux que le mûrier noir. Le mûrier blanc, bien plus propre à l’élevage des vers à soie, demeura longtemps encore confiné en Grèce. En 1146, Roger II en introduisit la culture dans ses états, c’est-à-dire dans la Sicile et les Calabres. L’Italie méridionale adopta assez vite cette nouvelle culture, qui gagna de proche en proche ; mais ce n’est que vers le milieu du XVe siècle qu’elle atteignit la Toscane, la Haute-Italie et le Piémont. À cette époque, la sériciculture était déjà connue en France.