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prince avait également frappé d’impuissance le pontife. Savant théologien, de mœurs irréprochables, d’une austérité chrétienne depuis longtemps inconnue sur la chaire de Saint-Pierre et rare même dans les monastères, animé des intentions les plus droites comme des sentimens les plus purs, il avait voulu empêcher dans l’église la réforme des dogmes en y opérant lui-même la réforme des abus : il le tenta avec le désir sincère de l’accomplir, mais sans en avoir la force. Dans ses projets de limiter la concession des indulgences, d’épurer la pénitencerie et de réduire la daterie[1] de la cour romaine, il rencontra des objections qui l’émurent et des obstacles qui l’arrêtèrent. Prince inhabile et pontife inerte, il indisposa les Italiens et ne ramena point les Allemands.

Il vivait comme un pauvre religieux dans le Vatican désert. Étonné de la magnificence dispendieuse de son prodigue devancier, il avait supprimé dans le palais pontifical une grande partie des emplois qui lui paraissaient onéreux et inutiles[2]. Il y était servi par une vieille femme de son pays et ne dépensait qu’un ducat par jour pour sa nourriture[3]. Il se levait dans la nuit pour dire ses offices, et le jour il se retirait volontiers dans une pièce réservée, où, fuyant les soucis du pontificat, il se livrait à l’étude de la théologie ; mais, s’il aimait les lettres chrétiennes, il portait moins de faveur aux lettres humaines, et sa trop scrupuleuse piété avait repoussé tous les poètes qu’encourageait naguère de ses faveurs le joyeux Léon X. Les arts, qui faisaient la gloire de l’Italie et qui avaient passionné ses prédécesseurs, étaient sans attraits pour lui, et il en regardait d’un œil indifférent les anciennes merveilles comme les chefs-d’œuvre renaissans. Des douze portes qui, du Belvédère de Jules II, conduisaient aux splendides galeries où l’on allait admirer l’Apollon, la Vénus, le Laocoon, il en avait fait fermer onze. Les Romains, insensibles à ses vertus, outrés de sa parcimonie, choqués de la simplicité de ses habitudes et de l’humilité de ses goûts, voyaient en lui un prince sans habileté, un pape sans grandeur, un barbare sans délicatesse et sans générosité. Aussi se réjouirent-ils ouvertement de sa mort, et dans les manifestations de leur allégresse, plusieurs d’entr’eux allèrent jusqu’à entourer de feuillages la maison de son médecin, sur la porte de laquelle ils mirent cette inscription : Au libérateur de la patrie, le sénat et le peuple romain[4] !

  1. Office pour l’expédition et la taxation des bulles et dispenses émanées du pouvoir pontifical.
  2. Ranke, Histoire de la Papauté pendant les seizième et dix-septième siècles, t.1, p. 134.
  3. Sommario del Viaggio degti oratori veneti, etc. 1523, dans Alberi, Relazioni veneti, etc., ser. II, vol. III, p. 119.
  4. « Non defuerunt petulantissimi juvenea qui Joanni Antracino, pontifias medico, portas fronde… protinus exornarent, cum titulo uncialibus literis inscripto in hœc verba : Liberatori patries S. P. Q. R. » Pauli Jovii Vita Hadriani VI, c. XVI.