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faiblesse ni négligence, et après avoir remis sa destinée entre les mains de Louis XIII[1], il alla seul poursuivre leurs communs desseins. Avant de partir, il avait demandé et obtenu les pouvoirs les plus étendus : le 21 novembre 1629, des lettres patentes lui avaient conféré le titre de premier ministre, et le 24 décembre il avait été nommé lieutenant-général du roi, représentant sa personne dans l’armée d’Italie. Sorti de Paris le 29 décembre, il avait été passer quelques jours auprès du roi à Fontainebleau ; puis il s’était acheminé vers Lyon, recevant sur sa route des dépêches de toute sorte, y répondant avec sa diligence ordinaire, expédiant partout des ordres, pourvoyant à la sûreté de la frontière de Champagne au cas que l’Espagne osât l’attaquer, et commandant au duc de Guise, gouverneur de Provence, d’armer une flotte qui se pût porter au besoin sur la côte italienne. Il arriva à Lyon le 18 janvier 1630. Là, il se hâta d’envoyer le maréchal de Bassompierre en Suisse pour exciter les cantons à revendiquer leur neutralité et à chasser l’Autriche des Grisons, ou pour y recruter au moins quelques milliers de bons soldats. Il fit partir pour Venise le maréchal d’Estrées, bien connu des Vénitiens, qui l’avaient vu dans la Valteline, avec l’ordre de soutenir les efforts du comte d’Avaux et d’engager la république à faire marcher de nouvelles troupes au secours du duc de Mantoue. D’Estrées devait aussi passer à Mantoue, conseiller et guider Charles de Gonzague, en même temps que le comte de Guiche, le futur maréchal de Grammont, était autorisé à aller lui offrir aussi le secours de ses lumières et de son épée. Richelieu confia au maréchal de La Force un corps de troupes avec lequel il entra immédiatement en Savoie pour se rendre dans le Bas-Monferrat, tandis que lui-même, avec le reste de l’armée, se tenait prêt à s’avancer vers Suze par ces mêmes chemins des Alpes qu’un an auparavant il avait déjà traversés, et qu’il avait eu soin de tenir libres.

On se peut faire une idée des anxiétés de la légation pontificale.

  1. Mémoires de Richelieu, ibid., p. 331 : Il dit au roi « que, bien qu’en diverses occasions passées il eût tâché de témoigner à sa majesté son affection, il ne pensoit point avoir fait aucune action qui lui en rendit preuve plus signalée qu’il en recevrait par ce voyage, puisqu’il ne l’entreprenoit que pour empêcher qu’il n’y allât en personne ; ce qu’il ne pourroit faire sans beaucoup d’inconvéniens pour lui et pour son état, et que, par ce moyen, il s’exposoit à plusieurs accidens, dont les moindres étoient ceux qu’on considéroit d’ordinaire à la guerre ; qu’il savoit que les plus raffinés courtisans avoient pour maxime d’être le moins qu’ils pouvoient absens de leur maître et jugeoient que les grands sont esprits d’habitude auprès desquels la présence fait beaucoup ; qu’ils croiroient qu’ayant été mal avec la reine, il pouvoit retomber aisément en pareil malheur, ce qui enfin pourroit attirer la disgrâce de sa majesté ;… mais que puisqu’un serviteur n’est pas tel qu’il doit, s’il ne sacrifie tous ses intérêts pour ceux de son maître lorsque l’occasion le requiert, toutes ces considérations raisonnables ne l’empêcheroient point de marcher… »