Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/106

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dès lors il considérait comme l’instrument nécessaire de toute négociation dans la Haute-Italie. Le pape ne se trompait point : le nonce Pancirole, trop attaché aux formes et d’une allure compassée, ne réussit guère, et le cardinal Antoine eut le bon sens de s’appuyer sur Mazarin, qui devint encore une fois l’âme de la légation pontificale.

Jamais mission n’avait demandé un coup d’œil plus prompt et plus sûr, plus de tact, de souplesse et de mesure, et au besoin plus de fermeté. Pour faire écouter à l’Autriche et à l’Espagne de justes propositions de paix, on était bien réduit à employer la menace de l’arrivée des Français ; mais on devait bien se garder de les appeler sans une indispensable nécessité : il fallait, selon les conjonctures, hâter leur marche ou la suspendre. Bientôt le nœud des affaires se serra davantage, et la crise redoutée devint imminente.

Dès que Richelieu avait vu Collalto s’avancer vers l’Italie et Spinola prendre le gouvernement de la Lombardie, au commencement de l’automne de 1629, il ne s’était pas pressé d’évacuer la ville et la citadelle de Suze. Loin de là, il y avait peu à peu amassé des forces imposantes, qu’il avait mises sous la main du maréchal de Créquy, homme de guerre et diplomate consommé. Il avait envoyé le maréchal à Turin réclamer du duc de Savoie l’exécution du traité du 19 avril. Le duc recommença son jeu ordinaire et ne chercha qu’à gagner du temps. Au lieu de faire tête à Collalto et à Spinola, il se fortifiait du côté de la France, couvrait de retranchemens la route de Suze à Turin, et ne fournissait à la garnison de Casal que fort peu de vivres et à des prix excessifs. Richelieu ne s’endormit point ; il rassembla une armée considérable dans le Dauphiné, à l’entrée de la Savoie, et il ne tarda pas à en venir prendre lui-même le commandement.

En s’engageant de nouveau dans cette expédition lointaine et hasardeuse, le cardinal ne s’exposait pas seulement aux périls ordinaires de la guerre : à peine guéri de la fièvre, qui tout récemment encore avait manqué de l’emporter en Languedoc, il affrontait la peste et les épidémies qui dévastaient le Dauphiné et le Lyonnais, et, ce qui était d’un bien autre danger, il laissait Louis XIII loin de lui, livré à ses inégalités et à ses incertitudes de caractère, dont un patriotisme sincère ne le défendait pas toujours. Si Richelieu n’eût songé qu’à sa propre fortune, il se serait bien gardé d’abandonner le roi en ce moment critique ; mais il s’agissait de l’honneur de la France et du sort de la grande entreprise à laquelle il prétendait attacher son nom : il sentait bien que lui seul pouvait porter un tel fardeau, que sa présence en Italie donnerait du cœur à nos alliés, animerait nos généraux, qui, sous ses yeux, ne se permettraient ni