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de Montemolin. Cette insurrection s’est terminée ainsi avant d’avoir commencé réellement ; elle s’est éteinte sur la rive espagnole, en passant de l’ombre de la conspiration au grand jour.

Parce que le mouvement carliste du 1er avril a échoué en naissant, il ne faudrait pas dire absolument qu’il n’ait eu rien de grave, et qu’il soit sans une dangereuse signification. Tout indique que l’affaire avait été fortement nouée et qu’elle n’a été engagée qu’avec des chances sérieuses. Rien ne le prouve mieux que l’intervention d’un des hommes les plus importans du parti carliste, le général Elio, qui n’a pas l’habitude de se lancer à la légère dans les folles aventures, et ce qui le prouve encore mieux, c’est la présence du prétendant lui-même, qui jusqu’ici n’avait jamais paru dans aucune des tentatives faites en son nom. Selon toute apparence, l’insurrection n’a si complètement et si promptement avorté que par une série de circonstances qui l’ont paralysée au dernier moment. D’abord le général Ortega devait débarquer à Valence, où le parti carliste a de sérieuses intelligences, et où il n’y avait point en cet instant de commandant supérieur des troupes ; c’est par une cause inconnue qu’il a été ramené sur un point moins favorable. En outre, il paraît bien avéré que des mouvemens simultanés devaient éclater dans diverses parties de l’Espagne ; mais l’Andalousie n’a point remué, comme on se croyait en droit d’y compter. Cabrera et l’infant don Juan, qui étaient partis de Londres pour rejoindre le comte de Montemolin, ont manqué le prétendant et n’ont point paru en Navarre. Il n’y a eu par le fait que quelques échauffourées en Castille, aux environs de Burgos et dans les provinces du nord, près de Bilbao. Il en est résulté que lorsque Ortega a mis le pied en Espagne, il s’est trouvé seul. N’entendant parler d’aucune autre insurrection, il a été déconcerté, et son cri de rébellion s’est éteint sans trouver un écho. Toujours est-il qu’on s’est ému vivement à Madrid de cet ensemble de faits : une tentative de soulèvement combinée et accomplie avec plus de perspicacité que de patriotisme au moment même où une grande partie de l’armée était en Afrique, la défection d’un général qui se servait des pouvoirs reçus de la reine pour assurer le succès de sa trahison, et qui, avec un peu plus d’habileté ou d’ascendant peut-être, eût réussi à entraîner au moins une partie de ses soldats dans un commencement de guerre civile. Députés et sénateurs présens à Madrid se sont hâtés de se présenter à la reine Isabelle pour lui offrir leur concours ; il n’y a que la fraction exaltée des progressistes qui s’est tenue à l’écart, s’abstenant de se rendre au palais, et on conviendra que cette manifestation par réticence de la part des progressistes était singulière au moment où le drapeau carliste se relevait. Tout est fini aujourd’hui ; le mouvement avorté du 1er avril ne révèle pas moins l’obstination du parti carliste, la confiance tenace, la promptitude qu’il met à profiter de toutes les circonstances, et c’est ce qui devrait rallier toutes les fractions du parti constitutionnel dans une même pensée. e. forcade.