Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/1001

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la Russie, voulait Paris et refusait Londres ; on avait proposé Bruxelles. Nous n’attachons pas, quant à nous, la conférence n’étant point repoussée en principe, une bien grande importance au lieu de la réunion. La question de date domine tout. Il y a un mois, une conférence eût été contraire à la politique française, car elle eût produit un effet suspensif sur l’annexion. Cet inconvénient n’existe plus guère aujourd’hui : dans peu de jours, il aura entièrement disparu. Lorsque l’annexion sera complètement achevée, lorsque les districts neutralisés auront voté comme le reste de la Savoie, si la France a posé des élémens d’entente avec la Suisse et l’Angleterre sur les détails particuliers de l’annexion qui peuvent toucher aux intérêts de la confédération helvétique, non-seulement la réunion d’une conférence admise à exprimer son avis sur ces conséquences partielles de l’annexion, à les revêtir de sa sanction pour la sauvegarde de la Suisse, n’aurait rien de contraire aux intérêts de la France ; mais le choix même du lieu où se réunirait cette assemblée diplomatique ne serait point une difficulté sérieuse. On pourrait même là encore trouver pour les amours-propres compromis une nouvelle base de transaction.

Les conjectures que nous venons d’exposer ne sont peut-être qu’un roman optimiste né du far niente des vacances de Pâques. Comme elles résultent d’une analyse sérieuse des situations respectives de l’Angleterre, de la Suisse et de la France, et comme elles se présentent sous une apparence plausible, elles ont pris corps dans l’opinion, et nous avons cru devoir les reproduire avec une entière conviction et une demi-espérance. Nous voudrions ardemment, quant à nous, les voir s’accomplir. Nous l’avons dit, cette question suisse est pour le moment la question la plus grave de la politique extérieure, car elle peut donner lieu à une lutte d’influence en Europe entre la France et l’Angleterre. Une fois cette question assoupie, il n’y a plus au dehors d’affaire périlleuse actuellement engagée. La France, fermant sur elle ses nouvelles portes des Alpes, rentre en elle-même. Elle peut alors, si elle veut laisser s’apaiser ou mûrir les autres difficultés vives ou latentes de l’Europe, recommencer une période d’activité et de vie publique intérieure.

Nous avons en effet le sentiment que la France est dans un ces momens décisifs où le choix entre deux systèmes peut déterminer le caractère de toute une période historique dans l’existence d’un peuple. La France a donné récemment des témoignages de sa force bien suffisans pour assurer à son amour-propre une longue satisfaction et pour inspirer aux états rivaux un juste respect de sa grandeur. Elle n’a même pas pu exercer d’une façon si triomphante l’initiative qu’elle a prise, il y a un an, dans les affaires européennes, sans exciter des jalousies et des craintes. Si nous poussions plus loin nos avantages au dehors, si, alléchés par les entreprises étrangères, nous nous laissions aller à la tentation de faire emploi de notre puissance dans toutes les complications qui peuvent naître de la situation de