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et l’obligeaient à se rendre immédiatement à son poste. Quant à moi, je me mets en route, sous la conduite de Bukt-Khan, au coucher du soleil pour Nawabgunge. C’est un voyage de cent cinquante milles environ, dont je ferai la première partie à des d’éléphant, mode de locomotion assez primitif; mais grâce à un express qui va partir à l’instant, je trouverai un dawk préparé à mi-chemin. J’ai voulu d’abord refuser les services du fidèle serviteur d’Hammerton, mais mon hôte m’a fait observer qu’en tout état de choses Bukt-Khan devait partir pour Nawabgunge où il va se mettre aux ordres de lady Suzann, qu’il ramènera immédiatement à Minpooree. Impossible donc de refuser cette nouvelle preuve de l’affection de mon excellent hôte. Aussi tu comprendras sans peine la profonde tristesse qui s’empara de moi lorsque je lui fis mes adieux. En m’éloignant de ce noble représentant de la race européenne en ces contrées lointaines au milieu de si lugubres circonstances, une véritable tristesse oppressait mon cœur; il me semblait que je quittais un vieil ami. Je n’ai pas éprouvé un moindre chagrin à me séparer de little Jimmy. L’affection que ce cher enfant m’a témoignée dès le premier jour m’a pénétré jusqu’au fond de l’âme. Croirais-tu que le cortège de mes amis était déjà à une assez grande distance des tentes, que le cher petit, la tête à la portière du palanquin, dans lequel il avait pris place entre les genoux de son père, me saluait de la main en me criant en signe d’adieu : Frenchman snhib, salam ! — Street little boy! le reverrai-je jamais? Au diable les idées noires!

L’express qui va commander mon dawk doit, suivant toute probabilité, rejoindre le courrier qui porte la prochaine malle; aussi je termine à la hâte cette longue lettre. Je sais combien tu es prompt à t’inquiéter à mon endroit, et je ne peux me dissimuler que l’insurrection de Meerut aura un sinistre retentissement en Europe. Je veux donc que tu saches à n’en pas douter, et le plus tôt possible, que le 18 mai, à deux heures de l’après-midi, j’étais sain de corps et d’esprit, et à toi de cœur comme toujours.

HENRI.


LE MÊME AU MÊME.

Nawabgunge, 6 juin 1857.

Comme je te l’ai promis dans ma dernière lettre, mon cher ami, je ne laisserai pas partir cette malle sans te donner de mes nouvelles. Ta tendresse éprouvée, la gravité des événemens qui se passent autour de moi me sont un sûr garant que mes lettres, quelque rapprochées qu’elles soient, seront toujours les bienvenues entre tes mains. Grâce au ciel cependant, je n’aurai point à te parler de mes dangers. Jusqu’ici, ma bonne étoile de voyageur a pris soin