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cipayes, je les ai vus au feu et je sais ce qu’ils valent, je ne crois pas, dis-je, que ces misérables cipayes puissent arrêter la course victorieuse de l’étoile de la vieille Angleterre. J’ai confiance en la bravoure de nos soldats européens, j’ai confiance en ces hommes de la vieille école qui sauront porter haut et ferme au milieu des dangers le drapeau de notre glorieuse reine. Les deux Lawrence, Outram, Chamberlain, ces hommes-là valent des armées, et quels que soient les périls dans lesquels des demi-mesures nous auront fait tomber, leur courage éprouvé saura nous en tirer... Voici une bien longue, bien sérieuse conversation, mon cher hôte, et il ne nous reste qu’à nous excuser, Hall et moi, de vous l’avoir fait subir, car il est bien décidément inutile d’attendre Jones, qui ne viendra pas ce soir, comme il nous l’avait promis.

En cet instant, l’on entendit un bruit confus de voix au dehors de la tente, et un domestique en franchit le seuil pour remettre à Hammerton une lettre qu’un péon venait d’apporter de Nawabgunge. Le capitaine Jones annonçait en quelques lignes à son ami que les bruits d’une insurrection à Meerut, en circulation depuis quelques jours, avaient pris tout à coup une telle consistance que le brigadier commandant à Nawabgunge lui avait refusé la permission de venir nous rejoindre.

— Que dites-vous de tout ceci? fit Hall, rompant le silence solennel avec lequel nous avions accueilli ces graves nouvelles.

— Je dis qu’il ne peut y avoir un mot de vrai dans ces bruits, reprit Hammerton, par la grande raison que nous avons à Meerut une force européenne respectable, le régiment des riffles et celui des carabiniers. Si Jack cipaye médite de funestes projets, il ne commencera pas bien certainement par mettre le feu aux poudres dans une station aussi bien gardée que Meerut.

— Depuis vingt-cinq ans que je suis au service de Old John Company, interrompit Hall, j’ai toujours remarqué que pour pénétrer les plans des natifs, il fallait bien se garder de prendre le bon sens pour guide. Annoncez l’improbable, l’impossible, lorsqu’il s’agit d’éventer les machinations de cette maudite engeance, et je parie cent contre un que le fait accompli viendra vérifier vos prédictions. Aussi, Hammerton, suis-je loin d’être aussi rassuré que vous l’êtes. Je crois sincèrement que le 11 mai l’on a joué à Meerut le premier acte d’un grand drame dont Dieu seul sait si nous verrons la fin; ce qui ne doit pas nous empêcher de dormir encore, cette nuit du moins, sur nos deux oreilles. Messieurs, bonsoir...

Au moment où je venais de reproduire à ton intention ce dialogue qui m’a vivement frappé, Hammerton est entré sous ma tente pour m’annoncer que des nouvelles ultérieures, arrivées ce matin, ne lui laissaient plus aucun doute sur la gravité des événemens de Meerut,