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Il est grand temps de te dire quelques mots de nos plaisirs cynégétiques, pig sticking et chasse à tir. Si nous n’avons pas encore eu des succès pareils à ceux du docteur Hall, qui, dans son déplacement de l’année dernière, en ces mêmes parages, a tué dix-neuf tigres, nous ne pouvons pas trop nous plaindre : vingt-trois pigs (cochons sauvages) embrochés à la lance, un effectif respectable de daims, floricans, poules sauvages, perdrix, deux paons! et enfin hier, jour solennel, pour moi surtout, un premier tigre, avec les épisodes de chasse les plus émouvans. Le tigre nous avait été signalé dans une partie de la jongle assez éloignée du camp, et d’un si difficile parcours qu’Hammerton hésita longtemps avant de nous mener à sa recherche. Nous n’étions pas en chasse depuis une heure que les dangers du terrain nous furent révélés par un accident assez curieux. La ligne d’éléphans était arrivée au bord d’un nudlah (fossé vaseux) de mauvaise apparence, et l’un des mahouts, avec l’irréflexion si commune chez les natifs, entreprit de le faire traverser à sa monture. L’éléphant se refusa d’abord à tenter cette épreuve; mais bientôt, ramené à l’obéissance à coups de pique, il entra dans le fossé le front en sang. Dès les premiers pas, on put juger du sort qui l’attendait. En effet, avant d’avoir atteint le milieu du fossé, le pauvre animal était cloué, incapable de mouvement, dans la vase qui lui montait jusqu’à mi-jambe. La situation était critique, car il n’est pas rare de voir des hommes et des animaux disparaître dans ces bourbiers; mais la sagacité de l’éléphant ne se démentit pas dans cet instant suprême. Comme s’il eût compris qu’en se débattant il n’eût fait qu’aggraver en vain sa position, il se coucha sur le flanc, se contentant de suivre d’un œil intelligent les préparatifs de secours que nous organisions sur les bords du nullah. Mahouts, syces et chasseurs travaillaient à l’envi à lier des fascines que l’on jetait sous la tête de l’animal, en vue de donner quelque solidité au terrain. Pendant une longue demi-heure que dura ce travail, l’éléphant, comme bien convaincu de nos excellentes intentions à son endroit, ne donnait signe de vie que pour tâter légèrement du pied le lit de fascines déposé devant lui, ne voulant risquer qu’à bon escient un effort suprême et libérateur. Le docteur Hall, sportman exercé, eut encore l’idée d’un autre moyen de sauvetage. Sur son ordre, un syce enroula sous le corps de l’éléphant embourbé une corde dont il vint passer une des extrémités dans l’anneau de la trompe de l’Ami-de-la-Lune, le plus fort et le plus intelligent de la bande. La mission qui venait d’être confiée à la sagacité de mon porteur n’était pas au-dessus de son intelligence; aussi fut-ce avec étonnement qu’on le vit manifester une mauvaise volonté inaccoutumée, et, malgré le commandement de son mahout, laisser tomber la corde