Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/983

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

J’avais assisté en spectateur muet à cette polémique, lorsque l’apostrophe colérique du chevalier me fit craindre que le débat ne prît les proportions d’une querelle entre héros d’Homère, familiers avec l’invective. Ces prévisions ne furent pas trompées : des lèvres frémissantes de colère murmuraient toute sorte d’épithètes malsonnantes et dissonantes, lorsque Bonhommé vint heureusement mettre un terme à la querelle en annonçant l’arrivée du cabriolet du chevalier.

Mon attitude silencieuse en présence de ce brûlant conflit te donne une juste idée des sentimens de mon cœur, aussi éloignés d’un anglophobie puérile que d’un anglomanie exagérée. D’une part, et je ne te le cache pas, je suis loin de considérer comme un irréparable malheur que nos voisins d’outre-mer aient sur les bras des affaires sérieuses, que le paratonnerre des révolutions indiennes détourne de l’Europe cette activité inquiète et tracassière de la politique anglaise dont elle a tant eu à souffrir. De l’autre, je vois des soldats rebelles à leur drapeau, des bêtes fauves dont les excès font rougir l’humanité ; je me rappelle les hôtes excellens que tu as rencontrés sur ta route; je pense à toi, à tes jours compromis dans quelque horrible catastrophe, et je maudis les révolutions et les révolutionnaires, quelque part et sous quelque forme qu’ils se présentent !

Je veux cependant, à tout prix, sortir de l’incertitude où je suis plongé, avoir sur ce qui se passe autour de toi, à défaut de tes lettres, des renseignemens exacts ; aussi je me décide à aller les chercher aux sources mêmes. La presse de Londres traite assez brutalement les affaires de l’état : les correspondances de Sébastopol attestent assez avec quelle fougueuse énergie les plumes anglaises dénoncent les malheurs publics. Ce rôle de censeur impitoyable qu’il a pris dans la guerre de Crimée, le Times n’y faillira pas sans doute dans la guerre de l’Inde. Aussi, pour me défendre à ton endroit de craintes exagérées comme de fausses espérances, je me décide à prendre un abonnement à la célèbre feuille anglaise. Je lis encore assez couramment l’anglais pour venir à bout, mon dictionnaire à la main, des lettres indiennes (from our own correspondent) du Léviathan du journalisme. Adieu, je te quitte pour écrire à l’éditeur du Times et lui demander sa feuille.


LE MÊME AU MÊME.

Paris, 8 août 1857.

Que je te donne, mon cher Henri, sans préambule et avec tous les détails qu’il comporte, le récit de l’aventure très triste et très