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n’ose espérer ! Il faut bien le reconnaître, toutes les prévisions de tes lettres ont été trompées par l’événement. Où tu avais vu des populations résignées au joug étranger, plus heureuses sous leurs maîtres européens qu’elles ne l’ont jamais été sous le sceptre de fer des tyrans indigènes, une armée bien disciplinée et fidèle, comme par une soudaine métamorphose se révèlent des soldats rebelles, des multitudes furieuses, tyrans inhumains qui frappent sans relâche et sans pitié la faiblesse et l’enfance! Non pas que je te reproche sévèrement de n’avoir vu de ce pays que la surface, ce que l’on t’a permis d’en voir : les faits, hélas! disent assez que tu t’es laissé enguirlander par les prévenances de tes hôtes, sans rien deviner des passions qui bouillonnaient au sein du flot populaire. Je l’ai dit et je le répète, je constate le fait sans blâmer ton manque de perspicacité, car qui me dit qu’à ta place j’aurais été plus clairvoyant? De loin même, tes hôtes de ces pays reculés ont conquis toutes mes sympathies, et le major Hammerton, lady Suzann sont pour moi comme de vieux amis dont le sort, au milieu de ces tragiques événemens, me préoccupe plus que tu ne saurais croire.

Ceci m’invite tout naturellement à revenir sur le sujet de ce malencontreux paquet que tu m’as envoyé de Minpooree. Comme tu as pu le voir par l’en-tête de cette lettre, depuis quinze jours nous, sommes installés à Mont. Ma femme, comme à son ordinaire, a bien voulu se charger de surveiller les préparatifs du départ, et pendant qu’elle remplissait ce devoir conjugal avec son zèle accoutumé, ses yeux ont rencontré, dans mon cabinet, ton envoi de Minpooree, encore revêtu de son enveloppe primitive de toile cirée. Tu ne saurais croire avec quelle véhémence Pauline, à cette vue, m’a reproché mon apparente négligence, si bien que pour me justifier j’ai dû lui raconter piteusement les déboires de ma correspondance avec lord Delamere. Te dirai-je ce que cette folle tête a conclu de cette mélancolique histoire? Rien autre chose, sinon que je n’avais pas compris un mot à ma mission, et que le paquet, pour suivre tes intentions et celles de l’expéditeur, devait être remis par un commissionnaire, sans autre forme de politesse, à l’hôtel Windsor. A cela j’aurais pu répondre que le vicomte Dèlamere avait quitté l’hôtel pour faire un voyage en Suisse, sans laisser d’adresse assez certaine pour que je pusse lui expédier son bien; mais ces explications n’auraient pas arrêté les mille et une divagations auxquelles Pauline s’est livrée au sujet de cette malheureuse boîte à malice... Il s" est agi d’abord d’en deviner le contenu : un instant on a hésité entre des perles, des bijoux indiens, un autre kohinoor !... Enfin il a été décidé, mais irrévocablement décidé que la boîte contenait des portraits! Et pourquoi des portraits, s’il vous plaît? Parce que ma ro-