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atteints déjà d’un mal profond transmettent à leur progéniture une débilité corporelle qui ouvre la porte à une foule de maux. Et qu’on ne croie pas que, pour être transmis, le mal chez les parens doive toujours être invétéré et profond. Qu’un accident, une maladie passagère ait frappé les auteurs de nos jours peu avant le moment où ils nous transmettaient le germe de la vie, à ce moment même, et nous hériterons des imperfections et des troubles auxquels ils avaient été passagèrement soumis. Hésiode l’avait déjà observé quand, dans son poème des Travaux et des Jours, il recommande de s’abstenir des plaisirs de l’amour au retour des cérémonies funèbres, de crainte de transmettre à l’enfant l’impression de mélancolie qu’elles laissent au fond de l’âme. Une foule de physiologistes ont reconnu que les enfans conçus dans l’ivresse présentent une intelligence lourde et hébétée. Des faits de ce genre ont été aussi notés pour les animaux. Les vétérinaires savent que les défauts que font naître chez les chevaux des blessures ou des coups passent souvent aux membres de leurs poulains. Une semblable transmission de difformités résultant d’accidens n’est pas rare dans notre espèce, et M. Lucas en cite différens cas.

Quant à ce qu’on pourrait appeler les monstruosités morales, les perversités précoces, les penchans instinctifs, irrésistibles, au vol, au meurtre, au suicide, qui se manifestent parfois chez de très jeunes enfans auxquels on avait pourtant inculqué d’excellens principes, monstruosités dont l’ouvrage de M. J. Moreau et les Annales médico-psychologiques nous fournissent de nombreux exemples, il faut en chercher le plus souvent la source dans l’état de désordre moral où se trouvaient les parens quand ils ont engendré ces êtres déchus. En effet, un abattement de l’esprit, une fatigue continue du corps, un trouble cérébral même momentané, peuvent suffire pour amener la perversion de nos sentimens et nous conduire aux actes les plus contraires à notre nature et à notre éducation. C’est ce que nous démontrent la calenture et ce que les matelots anglais appellent the horrors, transports subits qui parfois, sans délire préalable, s’emparent de marins ou de soldats exposés à l’ardeur extrême du soleil ou placés dans un réduit trop fortement chauffé par un poêle, les poussent à se donner la mort, à se précipiter dans les flots. Conçus sous l’empire de ces désordres passagers, les enfans naissent avec des instincts criminels, vrais types de dégénérescence morale.

Mais, dira-t-on, pourquoi tant d’irrégularité dans l’héritage ? Pourquoi voit-on tantôt la transmission s’opérer dans un enfant ou chez plusieurs, tantôt l’héritage légué comme par voie de substitution, et la folie notamment sauter une génération ? Ces irrégularités ne sont qu’apparentes ; elles tiennent au jeu complexe d’une foule de phénomènes dont nous n’avons pu encore suivre la marche et découvrir