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aux manufactures, nous n’aurons pas de motif, au point de vue industriel, de renoncer au travail isolé.

Certes aucun esprit sensé ne voudrait résister à l’établissement des manufactures, s’il fallait opter entre elles et la ruine de notre fabrique. Cependant, si l’industrie nationale peut être sauvée par un autre moyen, il est bien permis de souhaiter que la famille de l’ouvrier échappe à ce nouveau fléau dont on la menace, — la famille, dis-je, car c’est elle qui souffre chaque fois qu’une branche de travail isolé est détruite au profit du travail en commun. Ces grandes simplifications de l’industrie, qui produisent tant de merveilles parce qu’elles multiplient indéfiniment les forces disponibles, ont le malheur de désorganiser la plus simple, la plus naturelle et la plus nécessaire de toutes les associations. Elles améliorent évidemment la vie matérielle, mais elles menacent quelquefois la vie morale. La société supporterait cette calamité, si les hommes seuls étaient enrégimentés au service du noir génie de la vapeur, car après tout la tâche principale de l’homme dans la famille est de l’édifier par son exemple et de la faire vivre par son salaire. Le père de famille n’a pas besoin de rester tout le jour parmi les siens. Quand il revient le soir, portant ses outils, après douze ou treize heures de fatigue, et qu’il s’assoit à son foyer, près de sa femme, avec ses enfans pendus à son cou, il n’est personne autour de lui qui ne bénisse le travail qui donne à toute la maison la sécurité et le bien-être. Rien qu’en pressant ses mains calleuses, son jeune fils s’instruit des nécessités et des consolations de la vie. Mais si, à l’aube du jour, la mère prend le même chemin que son mari, laissant le plus jeune enfant à la crèche, envoyant l’aîné à l’école ou à l’apprentissage, tout est contre nature, tout souffre, — la mère éloignée de ses enfans, l’enfant privé des leçons et de la tendresse de la mère, le mari qui sent profondément l’abandon et l’isolement de tout ce qu’il aime. S’il y a une chose que la nature nous enseigne avec évidence, c’est que la femme est faite pour être protégée, pour vivre, jeune fille, auprès de sa mère, épouse, sous la garde et l’autorité de son mari. L’arracher dès l’enfance à cet abri nécessaire, lui imposer dans un atelier une sorte de vie publique, c’est blesser tous ses instincts, alarmer sa pudeur, la priver du seul milieu où elle puisse vraiment être heureuse. Trop souvent l’atelier où on la conduit est mixte, et elle se voit obligée de vivre au milieu des hommes, dans un contact perpétuel avec eux. N’est-il pas à craindre que les opinions libres et quelquefois immorales qui ont cours parmi les ouvriers ne se communiquent à leurs compagnes? Quand même elles échapperaient aux autres périls, il est presque impossible que leur esprit demeure chaste. Il est trop évident d’ailleurs que, dans une grande réunion