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marient difficilement, parce que la débauche y est facile pour les hommes, et parce que, les femmes gagnant à peine le nécessaire pour elles-mêmes, les enfans retombent à la charge du mari. Une fois mariées, si elles n’ont pas un capital pour acheter un métier, elles continuent à fréquenter l’atelier treize heures par jour, ce qui réduit à l’état d’orphelins des enfans dont le père et la mère sont vivans et valides. Tout change, si la fabrique, au lieu de se concentrer à Lyon, se répand hors de la ville. Les femmes contractent des mariages réguliers ; elles contribuent doublement, par leur salaire et par leurs soins, à l’aisance commune, elles vivent constamment au milieu de leurs enfans, ce qui est pour ainsi dire leur atmosphère vitale. En même temps, le commerce lyonnais, loin de s’appauvrir par cette transformation, réalise des économies qui le mettent en état de tenir tête à la concurrence anglaise.

Tout le monde comprend que l’ouvrier des campagnes, dépensant moitié moins que l’ouvrier des villes, peut se contenter d’un salaire moitié moindre. Ce n’est point ici comme pour la substitution des femmes aux hommes et des enfans aux femmes dans les manufactures; il ne s’agit pas de spéculer sur les privations que l’ouvrier de la campagne peut supporter, car si les objets de consommation lui coûtent moitié moins qu’à l’ouvrier de la ville, il reçoit un salaire égal en touchant une somme d’argent moitié moindre. A la vérité, pour que cette proposition soit juste, il faut supposer que tout l’argent de l’ouvrier est immédiatement consommé pour ses besoins, et qu’il ne fait pas d’épargne; il serait donc équitable de lui tenir compte de cette différence : l’économie pour le fabricant n’en serait pas moins énorme. Disons sur-le-champ, à l’honneur de la fabrique lyonnaise, qu’il y a tout lieu de compter que, si l’exemple donné par quelques-unes des maisons les plus fortes et les plus intelligentes de décentraliser le travail vient à se généraliser, les salaires seront établis sur un pied raisonnable. On calcule que, dans l’état actuel, les capitaux employés dans la fabrique de la soie ne rendent pas au-delà de 10 pour 100, ce qui prouve que les exigences du capital ne sont pas exagérées.

Une autre économie considérable et toute spéciale résultant de la décentralisation serait la suppression du chef d’atelier. A Lyon, tout maître tisseur prélève de droit la moitié du salaire gagné par les compagnons. Si, par exemple, le travail d’un compagnon produit 8 francs par jour, le commerçant débourse 8 francs, et l’ouvrier n’en touche que 4. 2 francs à peu près représentent les frais généraux; il y a donc 2 autres francs qui accroissent la part du chef d’atelier sans utilité réelle.

Assurément, comme il n’y a ni droit de maîtrise, ni brevet, ni rien de semblable, et que la différence entre le maître et le compagnon