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vaient difficilement un mari, quand elles n’avaient pas vécu dans le sein d’une famille pendant leur apprentissage. Pour remédier en partie à ces maux et pour calmer ces justes appréhensions, un fabricant, sorti lui-même des ateliers et devenu riche par des miracles d’économie, a eu l’idée de transformer l’apprentissage en une sorte d’internat. Il a bâti tout exprès à quelques lieues de Lyon un établissement considérable, fabrique, école ou couvent, comme on voudra l’appeler. L’idée a prospéré, et il y a maintenant trois maisons de ce genre, l’une à Jujurieux pour les taffetas, une autre à Tarare pour la peluche, et la troisième à La Séauve pour les rubans. Les jeunes filles, en y entrant, signent un engagement de trois années, non compris un mois d’essai obligé. On y reçoit aussi des ouvrières, qui contractent un engagement de dix-huit mois.

Le règlement est partout extrêmement sévère. Dans une de ces maisons par exemple, le travail commence à cinq heures un quart du matin et finit à huit heures un quart du soir. Sur cet espace de quinze heures, cinquante minutes sont accordées le matin pour déjeuner et faire les lits, une heure pour dîner et se reposer, ce qui laisse un peu plus de douze heures de travail effectif. La journée finie, on soupe, on dit la prière, et tout le monde est couché à neuf heures. Les apprenties n’ont droit qu’à une sortie toutes les six semaines. On ne trouve dans le règlement d’autre trace d’enseignement élémentaire qu’une école du dimanche : un enseignement aussi rare, donné à des enfans fatiguées par le travail de la semaine, est à peu près illusoire; on aurait agi autrement en Angleterre ou en Allemagne. Il faut dire, comme atténuation, qu’on ne reçoit pas d’enfans au-dessous de treize ans. La journée du dimanche se passe assez tristement jusqu’à deux heures : service religieux matin et soir, catéchisme, école, une récréation plus longue que pendant la semaine. Après vêpres, si le temps le permet, on fait une promenade en commun, et sous la surveillance des sœurs, jusqu’à la chute du jour. En cas de mauvais temps, on remplace la promenade par des lectures à haute voix. Les ouvrières sont soumises au règlement comme les apprenties; elles doivent la même obéissance. aux sœurs. En semaine, toutes les habitantes de la maison sont constamment surveillées, comme dans une pension ordinaire de jeunes filles. Il est plus que probable que les pensionnaires de ces établissemens sont mieux nourries, mieux couchées, mieux soignées dans leurs maladies que les apprenties et les ouvrières de Lyon ; mais ces douze heures de travail surveillé, ce dimanche passé tout entier à l’église ou à l’école, égayé seulement, quand il fait beau, par une promenade qui ne commence jamais avant trois heures de l’après-midi, cette interdiction presque absolue de communications avec le dehors, constituent un régime qui effraie l’imagination. Les autres