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Dans ses confidences, non moins outrées que criminelles, Lurcy alla jusqu’à dire qu’il avait été question d’arrêter François Ier quand il traverserait le Bourbonnais, de lui mettre, ainsi qu’il s’exprimait, un chaperon en gorge et de l’enfermer à Chantelle. Il se vantait même d’avoir opiné pour qu’on le tuât, ce à quoi le connétable n’avait pas voulu consentir. Une machination aussi odieuse révolta les deux gentilshommes normands et les remplit d’effroi. Ils s’en étonnèrent de la part du connétable. D’Argouges refusa sur-le-champ d’y entrer, et répondit qu’il ne serait jamais traître au roi et à son pays. Matignon demanda une nuit pour réfléchir à une proposition de telle conséquence, et déclara le lendemain qu’il aimerait mieux être mort que de l’accepter. Non-seulement ils désapprouvèrent l’un et l’autre la conjuration, mais ils la dénoncèrent. Ils dirent en confession à l’évêque de Lisieux tout ce qu’ils avaient appris de la bouche de Lurcy, et l’évêque de Lisieux se hâta d’en instruire le grand-sénéchal de Normandie[1]. Celui-ci ne perdit pas un moment pour en informer le roi. Il fit partir deux courriers avec une lettre écrite en duplicata[2], et dans laquelle il prévenait François Ier de l’invasion qu’avaient préparée ses ennemis, et que devait seconder un des plus gros personnages de son royaume et de son sang. Il lui indiqua et les dangers que courait son état, et ceux dont était menacée sa personne. « Sire, lui écrivait-il, il est besoin aussi de vous garder, car il a esté parole de vous essayer à prendre entre cy et Lyon, et de vous mener en une place forte qui est dedans le pays du Bour- bonnais ou à l’entrée de l’Auvergne. »

François Ier reçut la lettre du grand-sénéchal de Normandie à Saint-Pierre-le-Moustier, le 15 août, avant-veille du jour où il devait entrer dans Moulins. Sans être troublé d’un péril dont la révélation lui arrivait si à propos, il s’entoura de précautions et se rendit le plus fort pendant son passage dans le Bourbonnais. Le connétable n’était pas venu à sa rencontre et lui avait envoyé Robert de Grossone avec des lettres pour s’excuser de ne l’avoir pas pu, retenu qu’il était dans sa chambre par une maladie qui l’empêchait d’en sortir[3]. François Ier envoya l’ordre au bâtard de Savoie, grand-maître de France, qui avait déjà dépassé Moulins, d’y revenir avec ses lansquenets. Ayant fait battre les champs par une grosse troupe que commandait le duc de Longueville, il s’avança, au milieu de ses gardes, vers la capitale des états du connétable. En y arrivant, il se logea au château, dont il prit les clés, s’y garda avec une

  1. Lettre missive du grand-sénéchal de Normandie de Breszé au roy, écrite d’Harfleur le 10 août. — Mss., f. 108.
  2. « Je vous fais courre deux courriers, de peur qu’il n’en tombe un malade, qui ne savent rien de ce que je vous escrips. » — Ibid., f. 109.
  3. Déposition de Robert de Grossone. — Ibid., f. 79 v°.