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cette importante victoire, il fut laissé par François Ier comme son lieutenant-général au-delà des monts. Il avait contribué à conquérir le Milanais sur le duc Sforza, que soutenaient les Suisses, restés jusqu’alors invincibles ; il sut le conserver contre les agressions de l’empereur Maximilien, qui était descendu en Italie à la tête d’une armée formidable. Ces grands services qu’il avait rendus à la couronne furent presque aussitôt suivis de sa disgrâce. Huit mois après la victoire de Marignan, deux mois après l’évacuation de la Lombardie par l’empereur Maximilien, François Ier rappela le connétable de Bourbon, qui avait sauvé le duché de Milan, et il mit à sa place le maréchal de Lautrec, qui devait le perdre. Dès ce moment, soit par une ingrate légèreté de François Ier, soit par une défiance prématurée de sa part, le connétable, tombé dans la défaveur, avait été dépouillé de toute autorité, n’avait point été remboursé de ce qu’il avait dépensé pour l’utilité du roi en Italie, ni payé de ses pensions comme grand-chambrier de France, comme gouverneur de Languedoc et comme connétable.

Relégué dans ses états, il avait paru de temps en temps à la cour, en grand-officier négligé, en serviteur encore soumis, en prince du sang maltraité ; mais il y avait paru avec splendeur et avec fierté. La suite de ses gentilshommes et son éclat fastueux, en laissant trop voir sa puissance, avaient ajouté à sa défaveur. Il avait déployé une magnificence remarquée et montré beaucoup de hauteur à la célèbre entrevue du camp du Drap-d’Or, où le roi d’Angleterre et le roi de France s’étaient promis une amitié « inaltérable » qui n’avait pas duré plus d’une année. Lorsque François Ier avait parcouru le Poitou et la Guienne, le connétable était allé le recevoir dans son duché de Châtellerault, où il lui avait offert, avec la plus dispendieuse hospitalité, les plaisirs recherchés des plus belles chasses. C’est là que le roi, visitant le magnifique château qu’avait fait élever dans le voisinage son favori Bonnivet, demanda au connétable, comme en le narguant, ce qu’il en pensait. « Je pense, répondit-il avec son esprit altier et acéré, que la cage est trop grande et trop belle pour l’oiseau. — Ce que vous en dites, ajouta le roi, c’est par envie. — Comment votre majesté peut-elle croire, repartit le connétable, que je porte envie à un gentilhomme dont les ancêtres ont été heureux d’être les écuyers des miens[1] ? »

À l’époque de la rupture de François Ier et de Charles-Quint, le connétable ne fut point compris dans la distribution des quatre grands commandemens militaires de la Picardie, de la Champagne,

  1. Mss. Béthune, vol. 8492, f. 2 V°, Brantôme, Vies des grande Capitaines, t, II, p. 158.