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liquides qui composent notre nourriture renouvellent sans cesse les parties de notre corps et transmettent à notre économie le mouvement et la force. Si ces alimens sont d’une nature contraire aux besoins de notre organisme, si la qualité en est mauvaise et la préparation malsaine, le corps ne tarde pas à ressentir l’effet de cette nourriture dangereuse ; l’économie se trouble, les fonctions se dérangent, et de là naît un mal qui ne fait que s’accroître avec l’usage de ces alimens. Que la nourriture fournie par les végétaux participe des altérations subies par ceux-ci sous des influences atmosphériques, et le mal se répand sur toute une population, la santé des individus s’ébranle, une véritable dégénérescence se produit. Des phénomènes de ce genre ont été plus d’une fois observés : l’emploi de la farine tirée du grain affecté de la maladie appelée ergot a engendré une épidémie terrible, l’argotisme, qui a frappé des familles entières et introduit chez certaines populations un principe de dégénérescence et de mort. L’empoisonnement lent dû à l’usage de la farine de blé ergoté non-seulement a produit des maladies aiguës et fait naître des symptômes graves d’intoxication, mais la nature tout entière de l’individu a été attaquée, les forces ont décliné, les fonctions digestives se sont dérangées, les sens se sont émoussés, la cécité même est apparue ; l’intelligence enfin a été atteinte, elle est tombée dans un incurable engourdissement ou une véritable aliénation.

Veut-on un exemple plus frappant des effets terribles que produit sur notre espèce une nourriture malsaine ou l’usage d’alimens empoisonnés par le sol ou l’atmosphère ? Étudions la pellagre. Cette maladie, connue seulement depuis le XVIIIe siècle, et qui sévit surtout en Espagne, dans le nord de l’Italie et dans la France méridionale, constitue une dégénérescence complète. Les fonctions essentielles sont bouleversées, le cerveau et tous les nerfs qui s’y rattachent profondément modifiés, la peau des poignets, des mains, des cous-de-pied et parfois même du visage se couvre de boutons. Une débilité profonde se manifeste, et l’intelligence est en proie à un affreux délire. Eh bien ! ce mal n’a le plus souvent d’autre origine que l’usage d’une farine extraite de céréales, et notamment de maïs, atteintes d’une altération particulière que les Italiens désignent sous le nom de verderame (vert-de-gris), et qui est due à la présence d’un champignon miscroscopique.

Les désordres portés dans notre économie, par une alimentation malsaine sont cependant moins graves que ceux qui proviennent de l’abus des narcotiques et des boissons enivrantes. On a dressé dans ces derniers temps des statistiques terribles qui montrent non-seulement combien l’ivrognerie, le goût de l’opium, l’usage immodéré du tabac engendrent de maladies, mais à quel point sont profondes et persistantes les altérations qui en résultent pour l’organisme. Ces